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Les critiques de Bifrost

Le Coeur perdu des automates

Le Coeur perdu des automates

Daniel H. WILSON
FLEUVE NOIR
21,90 €

Bifrost n° 93

Critique parue en janvier 2019 dans Bifrost n° 93

« Un fantastique hybride de Highlander et Terminator avec un soupçon de Blade Runner pour faire bonne mesure », proclame la quatrième de couverture. Le livre avait-il besoin de cette promotion improbable ? Au-delà d’un aspect quelque peu putassier, l’affaire a au moins le mérite d’annoncer la couleur : voilà un livre inspiré du cinéma, écrit comme au cinéma, et peut-être pour le cinéma. L’auteur n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai : un de ses livres précédents (Robopocalypse, même éditeur), dormant dans les cartons d’Hollywood, aura bientôt l’honneur d’une adaptation par le tâcheron Michael Bay.

Le pitch de ce Cœur perdu des automates — beau titre, soit dit en passant – s’articule autour d’une double ligne narrative : la première emmène à Moscou, au début du xviiie. Dans un atelier secret du palais de Pierre le Grand, deux automates reprennent vie, animés par la plus fine et élaborée des horlogeries. Ils sont doués de parole, de conscience, d’une âme ; mais ils ont tout oublié de leur passé et de leurs semblables, les Avtomats. La seconde ligne, ancrée dans notre époque, suit June Stefanov, spécialiste en automate ancien : elle les étudie, les répare et, parfois, les réactive. Elle doit sa passion à son grand-père, qui lui a légué un étrange objet métallique ainsi qu’une drôle d’histoire d’ange de métal datant de la Seconde Guerre mondiale.

Jusqu’ici, tout va bien, les fils vont gentiment se nouer pour, d’un côté, éclairer l’histoire des Avtomats – et en particulier des deux poupées russes précitées — depuis les origines, et de l’autre pour raconter, de manière épique, les dernières séquences d’un conflit pluriséculaire pour la possession, ou la récupération, de la fameuse clé détenue par June.

Sauf qu’une succession de mauvais choix narratifs va venir passablement gâter le décor : de chercheuse chevronnée au look de Lara Croft, June redevient d’un coup la pauvre potiche damoiselle en détresse qu’il faut sauver, ce qu’accomplira un Terminator bienveillant (nommé Pierre Alexeievitch, d’après le Tsar) dans une séquence quasiment transposée du film de James Cameron. Et le thriller ésotérique à la Da Vinci Code de basculer dans un enchaînement de péripéties empruntées aux gros blockbusters qui tachent, avec courses-poursuites, duels à l’arme blanche, pétarades et robots flippants à souhait. Le récit a le bon goût d’alterner, on l’a dit, deux lignes narratives temporelles. Si la ligne « historique », plus calme, plus introspective, apporte un temps le contre-point idéal au déferlement de testostérone de la ligne contemporaine, l’intérêt qu’on y porte ne tient pas sur la longueur. Les cartes postales sont belles : un chapitre sur Helsinki au siècle des Lumières, d’autres dans l’Angleterre prévictorienne, dans l’Inde coloniale, dans la Chine antique… mais ce n’est pas de la 3D, il manque la profondeur. Le travail sur les personnages est à l’avenant : inégal pour les gentils, parfois incompréhensible pour les méchants (ainsi de la « mère des vers », le boss final du jour, censément toute-puissante mais incapable de retrouver ses ennemis sur un périmètre de quelques kilomètres, et dans un intervalle couvrant quelques décennies…), et indigents pour les seconds rôles, nous autres, pauvres humains, réduits au rôle de faire-valoir, ou plutôt de chair à pâté. Signalons encore cette anecdote à propos de l’héroïne falote : dans la lettre de l’éditeur accompagnant mon exemplaire de service de presse, le nom de June est remplacée par celui d’Alexa… Parfaite métaphore de ce qu’on appelle une erreur de casting ! Le scénario dans son ensemble n’aide évidemment pas tous ces protagonistes à livrer des prestations mémorables, même s’il est vrai qu’on est touché, par moments, de voir le grand Pierre Alexeievitch se débattre avec la Parole – sorte de programme interne qui rappelle les lois de la robotique du bon docteur Asimov. Comme quoi, il y avait de bonnes idées, malheureusement noyées sous des tonnes de lignes anodines et attendues.

Le Cœur perdu des automates est un véritable piège pour les lecteurs qui ont aimé les langueurs et la complexité philosophique, politique et artistique d’œuvres telles que La Vénus anatomique (Xavier Mauméjean), L’Automate de Nuremberg (Thomas Day), ou encore plus récemment L’Alchimie de la pierre (Ekaterina Sedia). Le livre de Daniel H. Wilson en est la parfaite antithèse : rapide, violent, bourrin, peu nuancé, jouant à fond la carte de l’émotion forte. Des ingrédients qui feront pourquoi pas un bon film d’action, mais qui, en l’état, ne suffisent pas à faire un bon livre.

Sam LERMITE

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