AYERDHAL
AU DIABLE VAUVERT
768pp - 25,00 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Elyia Nahm est une cybione : une CYBernetic BIOlogic clONE. Elle appartient à l’agence Ender, et plus précisément à son dirigeant, Saryll, de qui elle est la chose et dont il use et abuse. Car Elyia est immortelle. Enfin, pas vraiment, car elle est déjà morte des centaines de fois. Mais aussitôt son décès confirmé, une nouvelle Elyia sort de sa matrice, sans savoir ce qui est arrivé à sa précédente version, et repart au service de son maître, violent et manipulateur. Il l’envoie régulièrement en mission quand ses autres employés ont échoué. Elle est l’arme ultime, capable de comprendre et de résoudre des situations inextricables. Souvent par la violence la plus crue. Car Ender se charge d’assurer les sociétés de différentes planètes et leurs constitutions. En se mêlant de leur politique et en poussant dehors, plus ou moins délicatement, les dirigeants ne correspondant pas à leurs critères. Grâce à Elyia, donc.
Ayerdhal est revenu à quatre reprises sur ce personnage aux formes parfaites et à l’existence sisyphesque. En 1992 paraît Cybione, écrit presque comme une blague. L’auteur s’était vu mettre au défi d’écrire un roman mettant en scène les 3S : sang, sexe et sueur. Il a donc pondu ce récit en trois semaines. Et cela se sent dans le rythme parfois bancal, les images souvent caricaturales et lassantes, du moins au début. Mais les ingrédients sont là, puissants : une arme de guerre liée malgré elle à un dictateur de l’ombre qui se mêle de tout et veut imposer sa patte partout. Une histoire rapide à lire, mais dont le contenu marque.
Quand Polytan sort en 1994, le style a été poli, sans avoir perdu de son charme, au contraire. L’intrigue se montre tout aussi riche, entre tous les protagonistes et les différents clans qui désirent prendre le pouvoir sans réellement le vouloir. Ayedhal y renforce la défiance terrible d’Elyia envers Saryll et sa volonté de contrer ses plans, qu’elle considère en outre comme injustes.
Ce côté paranoïaque est encore plus présent, de façon très réussie, dans Keelsom, Jahnaïc (2001), qui allie humour, détournement de clichés (sur la Jamaïque et son folklore), enquête policière et scènes d’action. L’intrigue prend de l’ampleur, gagne en clarté, mais reste assez tordue pour maintenir le lecteur en éveil tout au long de ses plus de trois cents pages. Il faut dire qu’il est difficile de comprendre comment plusieurs versions d’Elyia ont perdu la vie, de façon très variée, sur cette planète paumée au fin fond de l’univers. Quel ennemi machiavélique a pu se montrer à ce point puissant et efficace pour venir à bout d’une telle guerrière plusieurs fois de suite ?
En 2003, Ayerdhal retourne à son cycle avec L’Œil du Spad, roman encore plus noir que les autres, où la bassesse du monde et des puissants ressort dans toute sa force. Chad, apparu dans le premier texte et devenu Spad, c’est-à-dire tueur spécialisé dans l’éradication des versions d’Elyia à la fin de leurs missions, revient avec la volonté de se confronter à son ancienne maîtresse. L’empire de Saryll confine à la dictature au point qu’Elyia ne peut que s’y opposer. L’auteur est arrivé à maturité dans cette série qui s’achève en beauté, mais dans un pessimisme à peine sauvé par une maigre lueur d’espoir. Le monde est aux mains d’arrivistes égoïstes et sans considération pour les populations, simples pions dans un jeu gigantesque. Une vision sombre, mise en valeur par une narration efficace. Une lecture encore d’actualité tant par sa forme que par son fond, avec un personnage marquant dont on aurait aimé lire d’autres aventures.