Edgar Rice BURROUGHS, Martine BLOND, Jean-Pierre MOUMON
LEFRANCQ CLAUDE
22,73 €
Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95
Quand on parle d’Edgar Rice Burroughs (1875-1950) aujourd’hui, c’est généralement pour faire référence à Tarzan, plus rarement John Carter, mais presque jamais pour parler du reste de l’œuvre importante de cet écrivain prolifique et très populaire en son temps. Arrivé par hasard à l’écriture ou peu s’en faut, cet auteur américain connut une vie digne d’un aventurier, à l’image de ses récits, entre westerns, guerres et science, inspirant au passage un nombre incroyable d’écrivains, de cinéastes et de scientifiques.
L’idée qui donna naissance au « Cycle de la Lune » lui vint très tôt dans sa nouvelle (parmi tant d’autres) carrière d’écrivain. Commencée pendant la Première Guerre mondiale, la courte histoire à l’origine de la trilogie, « Under the Red Flag », fut refusée par les éditeurs, qui ne voulaient pas de récits guerriers en ces temps de paix retrouvée. Burroughs la garda donc en réserve, et y revint quelques années plus tard en l’intégrant à sa trilogie lunaire. Celle-ci, dont l’édition française est épuisée (et pour ainsi dire introuvable), parut en feuilletons à partir de 1923. Le premier regroupement des trois récits fut publié en 1926, mais amputé de près d’un quart de son contenu, et il fallut attendre l’édition posthume de 1962 pour pouvoir se plonger dans l’intégralité du texte.
Débutant à la fin des années 1960, le récit fait une étape dans les années 2050 et se termine en 2430, dans les pas d’un narrateur nommé Julian. Partant du postulat qu’ « Il n’y a pas de temps, pas de futur, seul maintenant existe », Julian nous raconte l’histoire de sa dynastie et ses aventures sous ses différentes incarnations.
Tout commence avec Julian V dans La Princesse de la Lune. Après la découverte des Martiens (ou des habitants de Barsoom, comme ils nomment eux-mêmes leur planète) par le célèbre John Carter, des solutions sont envisagées pour que les deux peuples puissent se rencontrer, le voyage interplanétaire semblant enfin rendu possible grâce aux dernières découvertes scientifiques. Las, la première expédition humaine envoyée vers la planète rouge, dirigée par Julian V, échoue. Saboté par un membre vindicatif et ivre de l’équipage, le lieutenant Ortis, le vaisseau est obligé d’alunir. Les explorateurs découvrent alors la jungle du satellite terrien et entrent en contacts avec les différentes peuplades autochtones… initiant au passage un conflit qui durera plusieurs siècles, entre civilisations lunaire et terrienne, entre les perfides Ortis et les braves Julians. Une guerre qui modèlera l’Histoire des deux mondes.
Que ce soit dans cette première partie, dans la deuxième, Les Conquérants de la Lune, ou la dernière, Les Héritiers de la Lune, où l’on suit respectivement Julien IX et Julian XX, le scénario respecte toujours les mêmes codes, entre pulp et récits d’aventures. Le héros, homme intelligent et intrépide, se retrouve en difficulté, rencontre une jeune femme belle et intelligente, la sauve ou est sauvé par elle, ils tombent amoureux, doivent se défendre contre l’ennemi de toujours, mais en sortent victorieux, après moult péripéties palpitantes. C’est désuet à souhait, parfois charmant. Et on se prend souvent au jeu, comme un enfant suspendant son incrédulité en découvrant ces « il était une fois » d’un autre monde et d’un autre temps.
Si on reprend le contexte de l’époque, la trilogie prend toute son ampleur de récit de SF, critique de la société et de l’Histoire en marche. Dans un monde perturbé et sans repères, sortant de l’un des plus grands conflits de l’époque moderne, Burroughs, entre Prohibition et années folles, pressentit les troubles à venir, les manifestations montantes des extrémismes de tout bord dans la civilisation occidentale. Ainsi, au-delà de la guerre entre la Lune et la Terre, comment ne pas remarquer dans Les Conquérants de la Lune une critique implicite du communisme ? Quand Julian lutte pour pratiquer sa religion au sein d’une société totalitaire qui tente d’effacer tout individualisme, qu’il se bat pour protéger sa famille des polices dictatoriales, pour défendre sa liberté d’expression, on devine le regard inquiet tourné vers l’Est d’un auteur visionnaire. Et dans Les Héritiers de la Lune, comment ne pas soupçonner le roman patriotique ? Quand la vie de Julian est celle d’un chef guerrier dans toute sa splendeur et ses doutes, les batailles et les morts qui jonchent les nombreux conflits sont comme autant d’avertissements contre l’horreur à venir, contre l’ennemi qui se prépare dans l’ombre. Même si la paix l’emporte finalement, même si l’aventure fait écran…
Le « Cycle de la Lune » compose donc une étape curieuse dans l’œuvre de Burroughs. Au-delà du premier niveau de lecture plutôt sympathique (et très old school) des aventures des héros, le message de l’auteur est direct, brut et catégorique : méfiez-vous de tout totalitarisme, soyez libres et indépendants. Un message atemporel, qui mériterait peut-être une réédition française…