Van Vogt est l’un des maîtres incontestés de la SF américaine classique, connu en France pour ce Monde du non-A que traduisit Boris Vian, comme Baudelaire Poe en son temps. « Le cycle de Linn » (L’Empire de l’atome et sa suite, Le Sorcier de Linn) est moins notoire. À juste titre à mon humble avis.
Fix-up rassemblant cinq histoires publiées dans Astounding, le premier roman se passe en 12 000 environ, sur Terre. Relevée d’une apocalypse nucléaire passée qu’on devine, l’humanité a fondé une société impériale qui vénère les dieux de l’atome (uranium, etc.). Politiquement, c’est un empire calqué sur la Rome d’avant les empereurs fous. Patriciens, chevaliers, plébéiens, esclaves, intrigues de cour, assassinats politiques, rebelles aux marches (Mars et Vénus), armée organisée en légions commandées par des généraux plénipotentiaires – c’est transparent au point d’en être gênant. A fortiori quand on réalise que, techniquement, cette race spatiopérégrine ignore l’électricité, communique par pigeons, combat avec épées, lances et flèches, après être descendue de vaisseaux spatiaux qui ne sont que de grosses barges de débarquement. La transcription que fait Van Vogt du « Moi, Claude, Empereur », de Robert Graves (de l’assassinat de César à celui de Caligula), sautera aux yeux de qui connaît un peu l’histoire romaine, même s’il n’a jamais ouvert le Graves.
Le cycle raconte les luttes pour le pouvoir à la cour impériale de Linn, sur Terre d’abord, puis dans l’espace (Le Sorcier de Linn ), quand l’empire doit survivre à une brutale invasion étrangère. Son héros est Clane, petit-fils de l’empereur régnant et, hélas pour lui, mutant difforme. Protégé par un savant débonnaire du sort funeste réservé aux mutants, Clane devient un jeune puis un adulte d’une intelligence stupéfiante qui conseille les princes, dirige des armées, redécouvre la science ancienne, et se fait nombre d’ennemis rêvant de l’éliminer. Il trouvera son meilleur allié en la personne d’un général barbare vaincu et finira par diriger l’empire après l’avoir sauvé. Honnête et honorable, Clane, s’il se méfie des mouvements de la foule autant que Tarde et Le Bon réunis, et doit parfois sacrifier à contrecœur aux intrigues politiques, veut néanmoins abolir l’esclavage et changer la forme autocratique du régime. Lors de la guerre contre les Riss (« Russes »), il cherche à éviter l’extermination mutuelle en prônant une coexistence pacifique garantie par une forme locale de dissuasion. Empire romain mâtiné de Guerre froide et de course aux armements.
Ces deux romans expriment donc l’inquiétude atomique de l’époque plus quelques valeurs et idées politiques. Hélas, elles sont bien mal servies par un texte discutable : invraisemblances scientifiques et techniques, développements sociopolitiques basiques, personnages fantomatiques mis à part les deux ou trois principaux, motivations des acteurs pas toujours compréhensibles, comportements parfois petit-bourgeois, et ne parlons pas de la bulle contenant l’univers en réduction ou des paysans téléporteurs, entre autres. On n’excusera que l’approche machiste, caractéristique de l’époque plutôt que de l’auteur. Et puis il y a cette écriture, scolaire, où distance, effectifs, termes des alternatives ou motivation des choix sont listés et décrits comme par un élève consciencieux. Rapide à lire mais impossible à prendre au sérieux.
Sans même parler des troublants points communs entre Clane et le Mulet d’Asimov dans « Fondation », d’autant que les dates coïncident…