Parfois, l’horreur n’a pas besoin de créatures surnaturelles ou de guerres mondiales pour se manifester. Il lui arrive même de se nicher au soleil des Caraïbes, dans un monde plein d’aventures dont on oublie souvent les contreparties sanglantes : l’Âge d’or de la piraterie. C’est cette période que choisit d’explorer Valerio Evangelisti avec son « Cycle des Pirates », dont seul le premier roman, Tortuga, a été traduit en français. La trilogie s’attache ainsi à trois lieux et trois années en particulier : 1683 et la ville de Veracruz, puis 1685 et l’île de la Tortue, enfin 1697 et Carthagène. Et pour compliquer le tout, Valerio Evangelisti change de personnage principal d’un roman à l’autre, et ne les a pas écrits dans l’ordre chronologique.
Le premier, Tortuga, celui qui se passe en 1685, suit Rogério de Campos, un marin portugais, ancien jésuite, recruté de force par le pirate Laurens de Graff, dit Lorencillo. Par ses yeux, nous allons découvrir l’univers de la piraterie avec ses côtés démocratiques et ses règles de vie, mais également sanguinaires, violents et même pédophiles vis-à-vis des mousses remplaçant les femmes sur les navires où règne une séparation stricte des sexes. Mais loin d’être un ange, l’ancien religieux a lui aussi ses propres secrets, et va peu à peu abandonner ses grands principes pour mener à bien ce qu’il considère sa mission. Veracruz se passe deux ans auparavant, et raconte plus en détail la prise de la ville du même nom, haut fait de Michel de Grammont et des frères de la Côte. L’histoire nous est ici contée par Hubert Macary, officier sur le navire de Lorencillo et tiraillé entre deux femmes : Claire, la sœur de Michel de Grammont, et la femme pas si fatale Gabriela Junot-Vergara. Enfin, Cartagena clôt le cycle en même temps qu’une page de la piraterie caribéenne se tourne. Ici, le récit se fait plus choral, et les pirates ayant abandonné l’île de la Tortue sont désormais liés sous la bannière du gouverneur Ducasse, un ancien capitaine négrier. Ils vont s’allier difficilement avec l’amiral de Pointis, qui a besoin d’eux pour prendre la ville de Carthagène en Colombie. Récit plus sombre encore que les deux autres, ce dernier clôt une trilogie alors que la course en mer change de visage et de haut lieu pour ses exploits.
Si pour vous, les pirates sont des personnages tels que ceux présentés dans L’Île au Trésor de R.L. Stevenson ou les séries télévisées comme Our Flag Means Death ou Black Flag, oubliez immédiatement l’image de carte postale. Certes, il y a des abordages, des courses poursuites, des plages de sable fin, du rhum et du vin à foison, mais les pirates décrits par Evangelisti ne sont ni galants ni unis dans leurs points de vue. Épris de libertés, ils n’ont rien contre le fait de posséder des esclaves. Ils prônent l’égalité, mais il ne fait pas si bon avoir une couleur de peau qui n’évoque pas la vieille Europe, ou, à quelques exceptions près, être une femme. Venus à la piraterie pour des raisons diverses et variées, parfois contre leur gré, les pirates de l’écrivain bolonais n’en sont pas moins incroyablement vivants et profondément humains dans leurs dilemmes – au point de ne pas perdre une miette de leurs aventures, tout en étendant fortement au passage les connaissances nautiques du lecteur spectateur, en tout cas celles de la présente chroniqueuse.