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Les critiques de Bifrost

Le Dernier cimetière

Clifford Donald SIMAK
DENOËL

Critique parue en juin 2001 dans Bifrost n° 22

La Terre. Encore et toujours. Il est vrai qu'au total, peu de textes de Simak se passent ailleurs que sur Terre. Dans ce qu'on s'accorde à définir comme sa quatrième période, soit à partir de 1968, de son propre aveu d'ailleurs, Simak cherche à retrouver ce qu'il pensait avoir perdu depuis l'époque où il écrivait Demain les chiens. D'où cette impression aiguë d'un retour aux sources, à la nostalgie élégiaque de ses œuvres les plus marquantes.

De fait, c'est bien de retour qu'il est question dans Le dernier cimetière, où les personnages s'aventurent sur une Terre détruite dix mille ans plus tôt, dépeuplée et rendue à la nature. Retour sur Terre donc, mais aussi à la terre. Car le berceau de l'humanité est devenu, sur de vastes territoires gérés par la Terre Mère SA, un cimetière où la diaspora humaine de la galaxie est invitée à venir reposer en paix. On a là l'expression la plus aboutie, sans doute, de la nostalgie simakienne, de ce sentiment d'appartenance à un « terroir. » La pratique funéraire est le propre de l'humanité et l'inhumation dans le sol de la Terre constitue un acte éminemment symbolique et culturel. Mais c'est aussi, au passage, l'occasion pour Simak, qui n'avait aucune sympathie pour le capitalisme et le mercantilisme, d'épingler une tare de l'homme, sa capacité à exploiter, à des fins financières, ce qu'il y a de plus noble et de plus sacré dans l'humanité : ici, le respect des morts.

« L'automne, murmura Elmer. J'avais oublié qu'il existait un automne sur Terre. Là-bas, on ne pouvait s'en rendre compte. Tous les arbres sont verts. » De tels mots, prononcés par un robot dix fois millénaire, affranchi pour bons et loyaux services rendus à l'homme, sont caractéristiques de l'univers de Simak. Les thèmes favoris de l'auteur sont là. La nostalgie automnale, le robot fidèle compagnon de l'homme. La nature : les paysages sauvages, les combes encaissées, envahies de bois touffus et denses, les collines rocailleuses aux crêtes hérissées d'arbres centenaires, qui sont la chair de textes tels que, entre autres, Au carrefour des étoiles et « La chose dans la pierre ». Le vieil homme : ici un extraterrestre mythique et multiforme. La maison : en l'occurrence une masure qui renferme un trésor. Et toujours l'humanisme généreux de Simak, dont la plus belle expression est le profond respect de l'autre, quel que soit cet autre : homme, animal, plante, objet, robot. Les méchants sont rares, uniquement motivés par la cupidité ou poussés par la bêtise. Un thème nouveau, peut-être un des seuls que Simak — qui s'est alors davantage tourné vers la fantasy — — ait ajouté à sa palette à la fin de sa vie : celui des fantômes, des revenants.

Tout comme le roman, le personnage central est simakien en diable. Fletcher Carson est un de ces personnages mesurés, réservés, si chers à son créateur. À l'instar du héros simakien, il recherche peu la compagnie des autres et ne se lie qu'avec des êtres hors normes : Elmer, un robot de trois tonnes, et Bronco, un compositeur artificiel, doté de huit pattes qui font de lui un véritable insecte géant. On trouve aussi des machines de guerre repenties, vieilles de dix mille ans. Un loup d'acier, dont le désir de faire ami ami et la méthode employée pour y parvenir résonnent fortement du côté de Demain les chiens. Et puis il y a le recenseur, épouvantail monté sur coussin d'air, droit sorti du Magicien d'Oz. De tous ces personnages émane une sagesse diffuse. Le monde rêvé de Simak est un monde de gentils.

Simak est présenté comme un auteur empreint de nostalgie Ce qu'il est, incontestablement, mais pas au sens d'un regret douloureux, voire réactionnaire. Le regret présent dans son œuvre est attendri. Son Humanité a la tête dans les étoiles, mais elle a avant tout des racines. L'homme ne change pas tant que cela, au fond, et les pulsions qui sont les moteurs de la vie perdurent, même si l'horizon de l'humanité s'ouvre à la galaxie entière. Elmer, natif de la Terre, est un lien, il incarne une mémoire vive d'un passé oublié. C'est aussi le sens du recenseur et de son trésor. Malgré une pause de dix mille ans, le lien n'est pas rompu. La nostalgie de Simak est une nostalgie de la simplicité, non de l'arriération. L'auteur redonne un sens profond à ce qui nous entoure et fait ressurgir la simplicité qui se cache derrière l'apparente complexité : après tout, qu'a-t-on fait à part moderniser un abri dans une fissure rocheuse, le cercle magique d'un feu contre le froid humide de la nuit, le bonheur de ne pas être seul dans la nuit ? Un message moderne pour une société formatée par l'esprit consumériste.

Jonas LENN

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