 
        
      
      
        
      
      
    
              Nana Kwame ADJEI-BRENYAH
              ALBIN MICHEL
                                           24,90 €             
Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119
En 2021, Nana Kwame Adjei-Brenyah signait avec le recueil Friday Black une entrée fracassante en terres francophones, saluée jusque dans ces pages (cf Bifrost n° 102). Violence, racisme et justice y figuraient notamment au programme. Autant de thèmes présents déjà dans Le Dernier combat de Loretta Thurwar, premier roman de l’auteur.
USA, futur proche. Une émission de télé-réalité déchaîne les passions à travers tout le pays : Chain-Gang All Stars (c’est d’ailleurs le titre original du livre). Le principe est simple, vieux comme les arènes : un combat à mort, à l’arme blanche. Les participants sont des détenus, volontaires pour rejoindre un programme leur permettant une libération s’ils parviennent à survivre à trois ans d’épreuves. C’est ce qu’on appelle la Libération par le haut. Elle est rarissime. La norme est celle par le bas, soit le trépas. Les participants sont des Maillons, regroupés en Chaînes, classés selon leur niveau (de Bleu à Colossal suprême) et leurs faits et gestes sont captés et diffusés en quasi-permanence par une armée de caméras miniatures, les HMC. Dans ce monde où la gestion des prisons échoit largement au privé, les sponsors sont omniprésents, et dire un bon mot face caméra peut vous rapporter un contrat qui vous permettra d’améliorer votre équipement.
Comme en NBA, les surnoms sont généralisés et font partie du show. Leur acquisition est le signe que vous rentrez dans la cour des grands. Peu à peu, au fil des victoires, ils vont supplanter l’identité. À mesure que le détenu commun s’efface, le combattant grandit — mais les motifs d’incarcération restent tatoués, via des M ou des V principalement, sur les corps. Loretta Thurwar est très puissante et respectée, au point d’avoir de nombreux surnoms, mais dans le même temps elle reste Thurwar — au pire, LT. Il faut dire que son parcours est exemplaire et que sa personnalité fascine alors qu’elle fracasse les crânes avec son marteau Hass Omaha.
Angola, Attica, Sing-Sing, les noms tristement célèbres de prisons bien réelles parsèment les pages, quand d’autres noms, tout aussi réels, comme Albert Woodfox, Tina Davis ou George Stinney Jr, viennent émailler les notes de bas de page. Ces notes donnent des éléments concrets sur le système carcéral étatsunien, notamment d’un point de vue racial, mais servent aussi de notules nécrologiques quand un Maillon meurt — entre autres utilisations narratives. Ce qui renforce le caractère polyphonique du roman.
Car si Loretta Thurwar occupe le centre de la scène, elle est aussi accompagnée par une vaste et diverse galerie de personnages forts, intelligemment développés, disséminés sur toute la chaîne du programme. De la conception au spectateur, en passant par les combattants et les opposants. Si Chain-Gang All Stars et ses diverses déclinaisons font se lever les foules, ce programme reste loin de faire l’unanimité et les abolitionnistes s’organisent, alors que se profile le dernier combat de la Blood Mama. Les focalisations se déplacent au fil des chapitres, voire des paragraphes, comme des changements de caméras, pour suivre l’histoire selon la volonté du réalisateur. Comme les spectateurs, vous aurez peut-être vos favoris, mais la mort peut surgir bien vite.
Le Dernier combat de Loretta Thurwar est un roman plein de panache, dépeignant une société du spectacle connecté hyperviolente, sans scrupules et déshumanisante, mais où l’amour trouve toujours des moyens d’exister, en dépit de tout. Au milieu de cet enfer, de la joie éclate au détour des pages, comme autant de majeurs dressés à l’industrie carcérale et au système judiciaire. Nana Kwame Adjei-Brenyah a du style et des idées, et ce livre le confirme de belle manière.
Mathieu MASSON