Joann SFAR
ALBIN MICHEL
19,90 €
Critique parue en août 2020 dans Bifrost n° 99
La couverture du dernier livre de Joann Sfar est un mensonge. Le dernier juif d’Europe ne comprend aucune gargouille, ni aucun nosferatu contemplatif sur le toit de Notre-Dame. Mais surtout, Le dernier juif d’Europe n’est pas un roman, contrairement au sous-titre indiqué. Appelez-le comme vous voulez : pamphlet, cauchemar sous acide révélant toutes les pulsions de l’auteur, logorrhée sans fin… Au choix. Mais pas un roman. L’histoire ? Elle est décousue au possible. D’un côté vous suivez une famille juive séfarade dont le fils, vétérinaire, va épouser bientôt un homme et dont le père se découvre tout d’un coup l’envie de ne plus être juif et de retrouver son prépuce. Et de l’autre, un vampire russe adepte de skateboard amoureux d’une psychanalyste hantée par son défunt mari qui essaie de régler les problèmes des monstres en tout genre tapis au sein de l’humanité. Ces deux histoires vont se poursuivre cahin-caha en parallèle pendant les deux tiers du roman avant de se télescoper de façon brutale pour un final grand-guignolesque précédant le fameux mariage.
Le tout étant enfoncé dans un salmigondis de ce qui était le cœur de l’actualité française avant la mi-mars 2020 et l’apparition d’un certain Covid-19 : nous y retrouvons la politique, la mort de Johnny ressuscité à l’état de zombie chantant pour calmer le mouvement des Gilets Jaunes, le racolage et la fausse information circulant sur les réseaux sociaux, les déboires liés au mariage pour tous et surtout… l’antisémitisme ambiant. Clairement Le dernier juif d’Europe est une façon pour Joann Sfar de régler ses comptes avec l’antisémitisme et d’affronter sa peur, mais il en fait trop. Beaucoup trop. Faire de l’antagoniste la personnification de l’antisémitisme, admettons, mais se retrouver à lire des pages et des pages entières de « Sale Juif » lorsqu’à la base le lecteur a pris un roman pour se détendre… Et passons sur les pages entières liées aux aspects techniques des changements de sexe, qu’ils soient magiques « comme un éternuement » pour l’un des monstres ou chirurgicaux. Trop c’est trop. N’est pas Philip José Farmer ou Kurt Vonneburg qui veut. À trop vouloir forcer le trait, Joann Sfar finit soit par ennuyer soit par dégouter son lecteur. C’est un gâchis, car pour lutter contre l’antisémitisme et la bêtise ambiante, l’auteur avait montré un vrai talent avec sa BD Le Chat du rabbin. Ici, la sauce ne prend pas. Restent ses dessins, qui viennent joliment reposer les yeux en cours de lecture.