Horatio II, capitaine d'un vaisseau pénitentiaire lancé sans eau potable, ni vivres, ni cosmétiques vers une destination inconnue, doit tant bien que mal survivre dans son petit univers animé par des sous-fifres manipulateurs, un médecin grec trafiquant d'alcool et de substances toxiques, des criminels en liberté, un garde du corps déguisé en Alsacienne, des grabataires spécialisés dans l'artillerie obsolète, et des péripatéticiennes mal confinées dans leurs quartiers. De station spatiale à la dangerosité légendaire en station spatiale spécialisée dans l'organisation de festivals artistiques, le chant du cygne d'Horatio II ne se fera guère attendre, d'autant plus facilement que ce pauvre crétin, manipulé, falot et peureux, est tombé amoureux de la machiavélique mademoiselle Corde, par ailleurs courtisée par tous les autres mâles embarqués dans cette galère.
Présenté sous forme de journal de bord du capitaine (un peu à la Star Trek mais sans les pyjamas et les oreilles pointues), Le Dernier voyage d'Horatio II n'est en rien une œuvre sérieuse, réaliste, scientifiquement rigoureuse. C'est en fait tout le contraire ; les amateurs de hard science et de vraie science-fiction — pleine de mots qu'on ne comprend pas et que d'ailleurs on ne trouve pas dans le Littré — feraient mieux de passer leur chemin. Pour les autres, voilà un livre d'une rare densité, plein de suspense. En sus du sens comique permanent (comique des situations amplifié par l'usage d'une rhétorique officielle), on mettra au crédit d'Eduardo Mendoza une plume tout simplement magnifique (merci monsieur le traducteur pour votre travail remarquable) et une pertinence psychologique qui nous ramène loin en arrière, à la satire voltairienne et, plus proche de nous, à la réjouissante cruauté d'un Frederik Pohl ou d'un Robert Sheckley en grande forme.
Et comme dirait ce cher Horatio II : conformément à la nomenclature en vigueur, cet ouvrage drolatique de 228 pages massicoté sur trois côtés, dos carré-collé, couverture quatre couleurs imitation pop art mâtiné de Flash Gordon, est à répertorier un degré au-dessus de « très bon » et deux degrés en dessous de « chef-d'œuvre ».