[Critique portant sur les trois premiers volets du cycle]
Christopher Ruocchio est un auteur nouvellement apparu sur la scène de l’Imaginaire américain, plus particulièrement celle du space opera, avec cet imposant cycle du « Dévoreur de Soleil » dont un quatrième tome sera sorti outre-Atlantique quand vous lirez ces lignes. Un cinquième devrait suivre selon des sources bien informées…
L’œuvre appartient à cette catégorie de space op’ riches et foisonnants à l’envi, avec les sempiternels lexiques : un pour le vocabulaire, un index des mondes, et la liste des personnages. Ruocchio ne sacrifie pas à cette mode dont « Le Trône de Fer » est un excellent exemple, voulant que l’on suive, quitte à s’y perdre, une multitude de personnages. C’est facile et agréable à lire car l’auteur renoue avec l’ancienne manière : un seul personnage, Hadrian Marlowe, et un récit linéaire à souhait. Il nous livre en fait l’autobiographie de Marlowe.
« Un space opera rappelant Iain M. Banks et Frank Herbert », nous dit Eric Flint (auteur américain non traduit) en quatrième de couverture du T.3. Si on veut… L’empire galactique créé par Ruocchio, féodal, peut à la rigueur évoquer celui de « Dune » ; la religion y est toute-puissante. Mais l’auteur ne s’attache nullement à en montrer les ressorts, ainsi que Frank Herbert le faisait. « Le Dévoreur de Soleil » s’avère, in fine, surtout proche des préquelles et séquelles de « Dune » dues à Brian Herbert et Kevin J. Anderson, auteur de la « Saga des Sept Soleils ».
Hadrian Marlowe, lointain cousin de l’empereur, est un jeune noble dont le père entend faire un inquisiteur de la Fondation (tout à l’opposé de celle d’Asimov) afin de faire de son cadet son successeur. Hadrian, lui, se verrait plutôt devenir scholiaste, sorte de savant sur le modèle de ceux du Moyen Âge. Il « s’évade » donc de Delos, leur fief, avec la complicité maternelle, pour gagner le monde universitaire où sont formés les scholiastes. Sauf qu’il n’y parvient jamais. Et se retrouve clochard sur Emesh, une colonie attardée, fief de la famille Mataro, où sont exploités de paisibles extraterrestres et où se trouvent des ruines non humaines fort anciennes. Ici débute le périple odysséen de Marlowe : gladiateur, étalon pour princesse, mercenaire, et multiples périples de marges de l’empire où vivent des branches de l’humanité qui se sont tant éloignées de celle-ci qu’elles semblent ne plus y appartenir, avant de revenir en chœur à la cour impériale… Les personnages principaux sont assez fouillés, et de nombreuses allusions au passé contribuent à l’enrichissement de cet univers.
Idéologiquement, Marlowe ne semble guère partisan du système impérial, et on pourrait supposer que l’auteur non plus. Toutefois, page 204, puis 358/359, des réflexions peuvent nous amener à penser différemment. « Nous ne sommes pas des corps. Nous possédons des corps », écrit-il. Qui, nous ? « Il n’y a pas d’idée plus dangereuse que celle qui réduit l’humain à de la viande. » C’est certes vrai. Mais où va-t-il chercher qu’une jambe de bois, un rein greffé, une prothèse de hanche, voire un téléphone portable ou une thérapie gériatrique vous réduit à de la viande ? « Leur clientèle convaincue de s’améliorer (…) perdait son âme (…) n’était pas purifié(e) mais mort(e). » Comme si se soigner ou s’améliorer était mal en soi. Il n’est ici aucunement question de recherche de « pureté ». Un humain, entre autres, n’est qu’une physiologie en action métabolique. L’âme n’est pas une nécessité ontologique. « Ceux qui prétendent que nous ne sommes que chair sous-entendent que nous n’avons pas de volonté propre. » Là encore, où va-t-il chercher pareil raisonnement ? Pour l’auteur, créer une entité dépourvue de conscience afin qu’elle n’ait pas à souffrir des tâches ingrates serait criminel. On rejoint l’esprit chrétien selon lequel l’homme est né pour expier (quoi ?). Et le lecteur de finalement se dire qu’après tout, aux yeux de Ruocchio, l’empire et la Fondation ne sont peut-être pas si mauvais que cela…
Chaque volume compte 80 chapitres d’une dizaine de pages dont certains ont assez peu d’utilité, Ruocchio ne recourant à l’ellipse qu’à minima. D’où quelques lenteurs narratives, même si rien de rédhibitoire. Pour qui a apprécié « La Saga des Sept Soleils » ou « The Expanse », sans doute que cet énorme cycle du « Dévoreur de Soleil » s’avalera sans problème.