Il faut nous résoudre à révéler l'inavouable, à confesser les pensées impitoyables qui animent les circonvolutions de notre cerveau. Après avoir lu et relu le recueil de Jérôme Noirez, à l'endroit comme à l'envers (pour vérifier s'il ne recelait aucun message satanique), la tête en bas, en sautant un mot sur deux, bref, en échafaudant une multitude de stratagèmes tous plus ou moins pervers, nous ne pouvons révéler la passion païenne qu'il a provoquée en nous. Aussi userons-nous d'un artifice pour nous exprimer à mots couverts.
Fièrement, nous claironnons ici même que nous ne nous laisserons pas impressionner par la richesse de son style, l'exubérance de sa plume et la générosité de son imaginaire, même lorsque celui-ci se laisse aller à la facilité. Afin de prévenir toute intervention de la ligue Deu, qu'il soit énoncé tout de suite que nous apprécions l'Imaginaire, l'Authentique, celui qui mal peigné et affalé à la place du fond près du radiateur braque son regard vers les courbes généreuses de la campagne derrière la vitre. Et la groupie Catherine Dufour, dont on peut lire la postface complice, ne nous fera pas taire d'une œillade assassine ou d'une saillie drolatique.
Profitons de l'espace que nous accorde chichement Bifrost (merci chef) pour nous interdire de proclamer tout le bien que nous pensons de Jérôme Noirez. Nous n'écrirons pas qu'il est une des plumes les plus fécondes de l'Imaginaire francophone et que sa verve intarissable, l'impact visuel de ses descriptions, le cosmopolitisme de son inspiration nous ravissent, nous retournent, nous secouent des pieds à la tête d'un rire incoercible, nous chavirent le cœur, font de nous des poupées de cire, poupées de son (hum…), bref, font entrer en émulsion le contenu de nos intestins jusqu'à en faire résonner nos corps caverneux.
Nous n'affirmerons pas non plus que Jérôme Noirez fait montre d'une grande maîtrise pour tisser des ambiances sordides, horrifiques ou contaminées par une dinguerie irrésistible. Ou qu'il se montre particulièrement doué pour coucher sur le papier ses obsessions intimes, un échantillon non exhaustif de fluides corporels, de terreurs enfantines et de visions au parfum méphitique. Nous ne le dédouanerons pas davantage de l'aspect malsain de son inspiration, précisant que chez lui le tragique et l'horreur confinent toujours au cocasse, que la mélancolie douloureuse côtoie l'éclat de rire salvateur.
Nous ne relèverons évidemment pas l'aisance dont il fait preuve pour se couler dans les codes fort différents du fantastique, du conte cruel, du récit décalé mâtiné de science-fiction, talent qu'il exerce sans pour autant renoncer à sa singularité et aux thématiques qui lui sont chères, notamment ici la figure de l'enfance.
Pour terminer, nous ne lui ferons pas plaisir en confiant nous être laissé prendre par la poésie et l'onirisme de ses textes : « 7, Impasse des Mirages » (page 11) et « La Ville somnambule » (page 43). Qu'il nous a énormément amusés avec le ton résolument déjanté de « L'Apocalypse selon Huxley » (page 79), et, surtout, avec « Feverish Train » (page 117), une histoire vaguement policière lorgnant du côté des cartoons de Tex Avery. Qu'il nous a ébahis avec « Stati d'animo » (page 183), une nouvelle où se mêlent physique quantique et mouvement futuriste. Enfin, nous ne joindrons pas notre voix à celle de Catherine Dufour pour affirmer que « Shirley's Doll » (page 205) est un joyau noir de la plus belle eau, sans aucun conteste le texte à retenir dans ce recueil. Ce serait le contenter pour peu de frais.
En définitive, recommander la lecture de ce recueil n'apparaît pas comme une démarche raisonnable, tant le risque d'addiction semble peu négligeable. Lire Jérôme Noirez conduit à éprouver d'étranges sensations dont les effets secondaires sont patents. Pourtant, qu'est-ce qu'il est bon de se laisser aller parfois à la déraison !