Sous le pseudonyme de Megan Lindholm, Robin Hobb va écrire un certain nombre de romans dont Le Peuple des Rennes, Le Dernier Magicien ou encore celui qui nous intéresse aujourd’hui, Le Dieu dans l’Ombre.
Publié en 1991, l’ouvrage bénéficie de l’attention des éditions ActuSF (1), qui le rééditent en grand format sous une magnifique couverture signée Lucian Stanculescu.
Loin des aventures de FitzChevalerie, le récit nous emmène sur les traces d’Evelyn, une jeune femme mariée à Tom Potter dont la famille possède une entreprise agricole florissante à Tacoma, une petite ville de l’État de Washington. Avec leurs fils, Teddy, le couple décide de quitter Fairbanks pour Tacoma, justement, et Evelyn doit dès lors composer avec une belle-famille n’acceptant pas cette bête sauvage qu’a ramené leur garçon.
Pour s’évader de cet environnement toxique, Evelyn peut compter sur un vieil ami surgit des tréfonds de son enfance : Pan, un faune qu’elle semble être la seule à pouvoir approcher.
Entre l’amour sauvage et naturel de Pan et le mépris d’une famille qui veut la façonner à sa guise, Evelyn va devoir choisir sa voie.
Véritable page-turner grâce à sa langue souple et légère, Le Dieu dans l’Ombre raconte l’histoire d’une jeune fille tiraillée entre son identité profonde, plus proche de la nature sauvage et farouchement indépendante, et une vie sociale banale souvent asphyxiante. Pendant longtemps, le roman de Megan Lindholm laisse le fantastique en sourdine et concentre ses efforts sur Evelyn, narratrice et héroïne, pour brosser un portrait féminin et féministe où le passage à l’âge adulte devient une malédiction. À la fois critique d’une misogynie ordinaire mais aussi plongée dans un retour à la terre et à la nature à la Thoreau, Le Dieu dans l’Ombre offre au lecteur une histoire touchante par la fragilité et la détermination de son héroïne prise au piège du quotidien et des conventions sociales qui l’entourent. Peu à peu, les malheurs d’Evelyn se teintent de fantastique par l’apparition de plus en plus fréquente de Pan, ancien Dieu de la forêt tombé éperdument amoureuse d’elle, et le récit oppose alors deux modes de vies, le nôtre et celui des bêtes, sans donner de réels gagnants en vérité, constatant l’échec inéluctable d’Evelyn à s’intégrer dans un monde qui ne pourra jamais totalement être sien. C’est aussi l’occasion de retrouver le sous-texte sur le couple que file l’autrice depuis le début de son récit, mais en inversant les rôles, mettant en lumière le jeu pervers qui se déroule entre deux êtres de chairs, jeux de pouvoirs et de séduction qui s’effrite avec le temps. Même si Le Dieu dans l’Ombre a parfois tendance à s’épancher plus que de raison sur les drames et états d’âmes d’Evelyn, l’ouvrage touche par la finesse psychologique de son héroïne et la sincérité du récit.
Après un virage à cent quatre-vingts degrés où le fantastique domine et rencontre le nature-writing, Megan Lindholm s’interroge sur notre capacité réelle à revenir à la terre, questionnant notre résistance et nos capacités humaines. Plus rude mais aussi plus bestial, cette dernière offrande à Pan renferme une note mélancolique où le bonheur passé se fane à l’ombre du réel. Au bout du chemin, un voyage initiatique où la féminité s’affirme et où la nature reprend ses droits, dans tous les sens du terme. Un très bon roman.