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Les critiques de Bifrost

Le Double Corps du Roi

Le Double Corps du Roi

Ugo BELLAGAMBA, Thomas DAY
FOLIO
402pp - 9,90 €

Bifrost n° 32

Critique parue en octobre 2003 dans Bifrost n° 32

Parce qu'il juge son monarque vieux et pusillanime, faible et sans grandeur, qu'il veut redonner à sa cité, Déméter, sa puissance d'en temps, le général Déléthérion fomente un coup d'état sanguinaire. Grâce à l'appui de l'armée et son association avec les Eizihils, une race insectoïde sur le déclin, il parvient à ses fins en une journée, balaye la monarchie et prend le pouvoir. Il va désormais lui falloir composer avec les instances religieuses de la cité-état, qui se verraient bien à la tête d'une théocratie, et surtout mettre la main sur l'Héraklion, armure-relique symbole du pouvoir monarchique de Déméter disparue lors du coup d'état, un artefact aux pouvoirs immenses dépositaire de la mémoire de tous les rois passés de la cité…

Le Double corps du roi est, après L'École des assassins (le Bélial'), le second roman que nous devons à l'association de deux de nos jeunes auteurs les plus doués : Thomas Day, qui a fait davantage que confirmer en une dizaine de livres (le présent Bifrost en est une preuve supplémentaire), et Ugo Bellagamba, plus vert que son comparse, mais qui nous a d’ores et déjà montré toute son ambition dans le recueil La Cité du Soleil (le Bélial'). Un livre attendu, donc, avec comme toujours dans pareil cas le risque de la déception. Et nous n'y coupons pas. Ou tout du moins pas totalement. Car Le Double Corps du roi souffre de défauts patents, ce qui ne lasse pas d'énerver quand pareil constat s'applique à un ouvrage qui aurait pu être épatant.

Le livre nous raconte l'histoire d'un coup d'état, des bouleversements qu'il implique, de la résistance qui s'organise autour de cet événement et des motivations des personnages qui se trouvent happés par le flot de l'Histoire. Un sujet classique mais ambitieux. Il y a de la dualité dans ce Double corps. Manichéisme bien sûr, mais pas uniquement : impérialisme face au monarchisme ; conservatisme et progressisme ; science et nature (la science étant plutôt le mal et la nature, ou « l'état de nature », le bien — un symbolisme de base répandu dans nos société modernes et finalement assez réac') ; fausse religion et vraie foi ; dualité des personnages tiraillés entre leurs origines et le nouveau monde qu'ils découvrent, leur vision éthique et politique et leur environnement social, familial… Finalement rien n'est simple et c'est tant mieux, le mal à ses raisons et peut se justifier : méfions-nous des visionnaires. Alors ?

Alors à l'ampleur des personnages, leur épaisseur, leur complexité, on opposera la puérilité de certaines de leurs réactions, l'invraisemblance crispante, ça et là, de leurs propos. Mais ceci relève du détail. Plus gênant est le fait qu'on ne saisit pas pourquoi, dès le début du livre, alors qu'Égée dispose de l'Héraklion, cette armure qui fait de lui un espèce de super héros, un Iron Man invincible, il ne s'en sert pas pour balayer les putschistes. Ou plutôt si, il s'en sert, un peu… Puis on nous explique que pour des questions morales, vraiment, il ne peut pas, non, vous comprenez, c'est pas bien, quoi, faut réserver ça au messie, et le messie, ben c'est pas lui… Mwouais. Et puis surtout, le plus handicapant, c'est cette construction en trois parties centrées autour de trois personnages différents (mais semblables, en fait), cette fausse disparité qui fait qu'on se retrouve avec des actes héroïques mais pas de héros, un paradoxe alors que le livre tout entier est un appel au héros. Du coup les moments de bravoures se succèdent mais, en fait d'un ouragan épique qui nous porterait du début à la fin, ce n'est qu'une succession de bourrasques — dommage, vraiment, même si certaines de ces bourrasques n'en sont pas moins magistrales… On ne peut se départir de l'idée que les auteurs sont restés le cul entre deux choix narratifs : un point de vue éclaté à travers une véritable multiplicité de personnages (et plus aucun héros, juste des acteurs/spectateurs), et un unique point de vue (ou deux, disons, celui du régicide et celui qui s'y oppose) jouant pleinement la carte de l'héroïsme… Las.

On l'a dit : on reste quelque peu déçu face à ce livre ambitieux qui promettait plus qu'il ne donne. Demeure toutefois un roman qui se lit d'une traite, inscrit dans un univers au substrat politique et géographique riche et savoureux, le tout ponctué de scènes marquantes. Alors on lit, oui, on apprécie, aussi, même si on regrette, un peu…

Olivier GIRARD

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