Connexion

Les critiques de Bifrost

Le Faiseur d'histoire

Le Faiseur d'histoire

Axel ORGERET-DECHAUME, Stephen FRY
FOLIO
656pp - 10,40 €

Bifrost n° 56

Critique parue en octobre 2009 dans Bifrost n° 56

Au dernier recensement en date, il a été dénombré une bonne douzaine de Stephen Fry : humoriste monty-pythonesque (la série culte A Bit of Fry & Laurie, en compagnie du futur Dr. House), acteur, réalisateur (le très séduisant Bright Young Things), animateur télé et radio, critique, essayiste, passant d'une scène de théâtre à un studio d'enregistrement où il prête sa voix à de nombreux livres-audio, voilà plus d'un quart de siècle que ce génial touche-à-tout réussit à peu près tout ce qu'il entreprend. Jusqu'en littérature, où ses quatre romans parus à ce jour ont été autant de succès.

Curieusement, alors que Mensonges, mensonges, L'Hippopotame et L'Ile du Dr Mallo ont été publiés en France entre 1998 et 2002 (chez Belfond, puis J'ai Lu en poche), il aura fallu attendre treize ans pour qu'un éditeur s'intéresse à ce Faiseur d'Histoire. L'explication se trouve-t-elle dans le fait qu'il s'agit d'un roman de science-fiction ? Pourtant, plus encore que le reste de son œuvre, ce livre est à l'image de son auteur. Le Faiseur d'Histoire est une uchronie, certes, mais c'est également un roman d'apprentissage, une comédie romantique, et une comédie tout court, malgré la gravité des thèmes abordés. Un foisonnement que l'on retrouve également dans la forme, puisque dans une narration à la première personne viennent s'intercaler des extraits de biographie romancée, d'articles encyclopédiques, de journal intime, et même de scénario cinématographique.

Michael Young, le narrateur de ce roman, n'est pas le personnage le plus haut en couleurs imaginé par Fry. C'est un étudiant doué mais un peu à côté de la plaque, auteur d'une thèse sur la jeunesse d'Adolph Hitler. Sa voie semble toute tracée, pourtant le jeune homme sent s'installer en lui un mal-être profond, et ses relations conflictuelles avec sa fiancée, Jane, n'arrangent guère la situation.

La vie de Michael va être bouleversée par sa rencontre avec Leo Zuckermann, un physicien qu'un lourd secret de famille a amené à s'intéresser à la période de la Seconde Guerre Mondiale. Zuckermann travaille sur le prototype d'une machine permettant d'observer le passé. Très vite, les deux hommes vont sympathiser et travailler ensemble à l'amélioration de cet appareil, avec pour objectif un projet fou : empêcher la naissance d'Hitler.

Le lecteur coutumier des uchronies ne sera sans doute guère surpris d'apprendre que le monde auquel Young et Zuckermann vont donner naissance sera par bien des aspects pire que le nôtre. Hitler n'a jamais accédé au pouvoir, certes, mais son successeur n'a rien à lui envier en matière de monstruosité. Avec retenue et en gardant une distance nécessaire avec l'horreur qu'il décrit, Stephen Fry nous fait découvrir l'autre solution finale qui a été mise en place dans cet univers. Ironie suprême de l'histoire, nos deux apprentis sorciers sont directement à l'origine de la méthode employée.

Cette seconde moitié du roman, située dans une Amérique rétrograde et refermée sur elle-même, est évidemment beaucoup plus sombre que la première partie. Pourtant, cette expérience, aussi éprouvante soit-elle, va permettre au personnage de Michael Young d'évoluer. Perdu dans un monde hostile et étranger, loin du confort douillet de la vie qu'il imaginait écrite d'avance, il va enfin retirer ses œillères et s'accepter tel qu'il est réellement, et l'aimable couillon des premiers chapitres va progressivement céder la place à un personnage nettement plus complexe et intéressant.

Avec une aisance qui laisse rêveur, Stephen Fry maîtrise son récit de bout en bout. Constamment la grande Histoire, dans un continuum ou dans l'autre, fait écho à celle toute personnelle du narrateur et accompagne son évolution. Surtout — hormis lors de quelques descriptions particulièrement douloureuses —, l'auteur parvient à conserver à son récit une légèreté et une fraîcheur qui font du Faiseur d'Histoire une lecture on ne peut plus réjouissante.

Philippe BOULIER

Ça vient de paraître

La Maison des Jeux, l'intégrale

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug