Lafcadio HEARN, Jean-Philippe DEPOTTE, Jérôme NOIREZ, N.M. ZIMMERMANN
ISSEKINICHO
160pp - 13,45 €
Critique parue en janvier 2016 dans Bifrost n° 81
Lafcadio Hearn est connu pour Kwaidan, recueil d’histoires de fantômes et autres bizarreries nippones. Parmi les textes le composant, il est un fragment intitulé « Dans une tasse de thé » qui n’a pas vraiment de chute : nous y voyons un homme d’armes du nom de Sekinaï qui, lors d’une halte dans une maison de thé, aperçoit dans sa tasse un reflet qui n’est pas le sien – celui d’un fantôme de samouraï. Il boit néanmoins, et se retrouve hanté par l’esprit de Shikubu Heinaï, qui lui annonce qu’il se vengera bientôt de cet affront inacceptable…
Et ça s’arrête là. Ce qui est certes un brin frustrant…
D’où l’idée de cet étrange petit livre : trois auteurs imprégnés de culture nipponne y livrent leurs « suites », chacun étant accompagné d’un illustrateur différent, respectivement Rémi Maynègre (plutôt quelconque…), Nancy Peña (l’approche la plus classique, via des sortes d’estampes), et Johan Walder (dans un style manga tordu).
Jean-Philippe Depotte entame l’exercice, mais biaise, dans la mesure où son récit n’est pas à proprement parler une « suite » : il entend remonter le temps pour expliquer comment le visage du détestable samouraï a fini dans cette tasse de thé. L’histoire est classique mais astucieuse. Sauf que lorsque le récit s’arrête, on en reste au même point : on ignore ce qui va arriver à Sekinaï.
N. M. Zimmermann livre bel et bien une « suite » directe – et c’est sans doute elle qui a l’approche la plus classique, voire convenue. Cela reste une conclusion bienvenue quoique prévisible à l’anecdote de Kwaidan. On appréciera notamment la manière dont l’auteur emploie le thème du double suicide (les différents récits sont parsemés de traits culturels japonais, et cela participe sans doute de l’intérêt du livre).
Reste Jérôme Noirez, qui quitte le Japon féodal pour nous ramener au temps présent – sa « suite » n’a donc rien de direct, et le lien avec le matériau de base est assez lâche… Son récit est le plus connoté « jeunesse », avec son narrateur adolescent victime d’un cruel drame amoureux. C’est bien le caractère rude de ce récit qui fait son intérêt. Une bonne idée par ailleurs, toujours dans la mise en scène de la culture japonaise : l’intérêt des personnages pour la cérémonie du thé… Mais certaines scènes peuvent donner une impression d’artifice, comme si elles étaient des concessions arrachées pour la forme.
On pourrait considérer que seule N.M. Zimmermann a pleinement joué le jeu – mais la manière dont Jean-Philippe Depotte et Jérôme Noirez ont accompli l’exercice ne manque pas pour autant d’intérêt, et évite au recueil de sombrer dans la répétition. Bref, nous voici avec une curiosité, peut-être pas totalement satisfaisante, certainement pas renversante, mais néanmoins sympathique. Et nul doute que les jeunes lecteurs – a fortiori ceux qui s’intéressent à la culture nipponne – pourront y trouver un intérêt.