Arthur C. CLARKE
MILADY
408pp - 8,20 €
Critique parue en avril 2021 dans Bifrost n° 102
Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, le Titanic, navire amiral de la White Star Line et, à l’époque, plus grand et plus luxueux paquebot du monde avec son jumeau l’Olympic, coule au large de Terre-Neuve durant sa croisière inaugurale après avoir heurté un iceberg, causant la mort de plus de 1500 de ses passagers et membres d’équipage. Par-delà le lourd bilan humain, le naufrage d’un navire qu’on disait insubmersible ébranla la foi dans le progrès, notamment scientifique, qui traversait le XIXe siècle ; une foi que guerre des tranchées et gaz de combat achèveront peu après. C’est parce qu’il bouleversa des décennies d’optimistes croyances que ce naufrage imprévu fascine depuis un siècle. Films, romans, essais, BD, le Titanic n’a jamais cessé d’inspirer. Jusqu’à Arthur C. Clarke, qui l’avait invité en guest star dans Terre, planète impériale avant d’en faire l’enjeu central du Fantôme venu de profondeurs, un roman publié en 1990, soit cinq ans seulement après la découverte de l’épave par 4000 mètres de fond et sept ans avant le fameux film de James Cameron. On notera que le titre VO dudit roman est le même que celui du chapitre consacré au Titanic dans Terre, planète impériale : « The Ghost from the Grand Banks ».
Nous voici deux ans avant le centenaire du naufrage. Deux équipes d’ingénierie concurrentes sont engagées dans une course à la récupération de l’épave. Les uns cherchent à renflouer la proue (le navire est brisé en deux) à l’aide de milliards de microbilles de verre, pour les autres c’est de la poupe qu’il s’agit, remontée à l’intérieur d’un iceberg artificiel (sic !) généré par effet Peltier. Les deux groupes sollicitent – en vain — l’aide de Jason Bradley, un spécialiste des opérations sous-marines complexes ; celui-ci préfère, après avoir discuté avec les deux, rejoindre le Commandement international des fonds marins, une organisation de protection de l’écosystème sous-marin. N’aidant ni les uns ni les autres, Bradley s’assurera juste du caractère écoresponsable des opérations conjointes (il interdira notamment une technique utilisant de l’hydrazine), avant de se lancer dans un projet annexe de cartographie intégrale du lit océanique à l’aide d’un robot ad hoc. Jusqu’à une catastrophe imprévisible – et une fin science-fictive qui tend à signifier que la fascination du Titanic ne s’éteindra jamais.
Un peu comme dans le « Grand Tour » de Terre, planète impériale, Le Fantôme… brosse de nombreux thèmes. L’histoire et la postérité du Titanic, le statut des reliques archéologiques entre tombe à respecter et lieu de savoir à documenter, les difficultés et prouesses de l’ingénierie sous-marine, les monstres biologiques des abysses, les enfants doués, la perte et le deuil personnels, la folie auto-induite, mais aussi le bug de l’an 2000 ou l’espace de Mandelbrot. Et comme Terre, planète impériale, il souffre hélas de trois défauts rédhibitoires. D’abord des personnages bien peu épais, upper class uniquement, encore une fois, dont les motivations et les biographies sont au mieux imparfaites. Ensuite, la réunion sous une même couverture d’éléments dont on ne comprend jamais vraiment ce qui les relie, à part l’intérêt que Clarke éprouve pour eux – c’est particulièrement vrai pour le bug Y2K ou l’espace de Mandelbrot (de plus expliqué d’une façon difficile à comprendre car Clarke n’utilise pas le mot « complexe » qui éclairerait la visualisation de la chose). Enfin, le roman – dans son aspect aventure sous-marine détaillée à la Jules Verne – souffre d’un manque total de tension dramatique. Jamais d’inquiétude pour les personnages, si ce n’est un tout petit peu vers la fin pour Bradley.
Le Fantôme venu des profondeurs n’est donc pas un roman satisfaisant. Clarke a clairement écrit bien mieux.