Chuck PALAHNIUK
FOLIO
362pp - 9,40 €
Critique parue en octobre 2005 dans Bifrost n° 40
On connaissait le Chuck Palahniuk méchant, affreux, cynique, épouvantablement drôle et remarquablement bon dans la description de tout ce qui gratte, démange, brûle ou ne s’avoue pas. On le connaissait bien et, à vrai dire, on commençait à s’en lasser, tant l’animal peinait à se renouveler. Malgré une écriture électrochoc d’une rare efficacité, malgré des situations atrocement drôles et un point de vue existentiel à pleurer de rire, Chuck Palahniuk ne faisait somme toute que décliner les formidables ingrédients élégamment saupoudrés dans Fight Club. Surprise, l’arrivée d’un recueil d’articles parus dans divers journaux (underground ou non) américains marque la découverte d’un autre Chuck Palahniuk. Un Palahniuk qui aime les gens, un Palahniuk à l’écoute des autres et incroyablement talentueux dans la mise en lumière des rêves et espoirs des grands brûlés de l’existence. Une mise en lumière à première vue glaciale, mais étonnamment tendre, bienveillante et presque admirative. Tout au long de ces quelques vingt-trois articles classés en trois grandes parties (Ensemble, Portrait et Seul), Palahniuk explore l’univers intérieur des grands malades, cinglés et autres paumés (dont l’auteur lui-même, particulièrement sévère avec son mythe) qu’on trouve dans un pays en rupture auquel plus personne ne croit. Mais là où un écrivain moins talentueux y mettrait forcément un message critique, voire une condamnation plus ou moins hypocrite, Palahniuk s’efface, se met de côté et donne la parole sans juger. Au final, les mille et un tarés qui composent Le Festival de la couille en ressortent comme des perdants magnifiques, des minorités hâtivement jugées, des vaincus systématiques, mais qui n’ont jamais perdu flamme, espoir ou envie. À dix mille kilomètres des blasés et autres lassés de la vie, tous se consument pour leur rêve. Qu’il s’agisse d’un combat « stock car » de moissonneuses batteuses relookées à la Mad Max, des équipes amateurs de lutte gréco-romaine (sport méprisé et peu médiatique) ou des organisateurs du fameux Testy Festy, les participants y croient. Dur comme fer. Sincèrement. Et c’est évidemment ça qui les rend touchant. Quant au « Festival de la couille », une sorte de salon pseudo érotique qui n’est somme toute pas autre chose qu’une partouze géante, ce n’est pas le meilleur texte, mais il est suffisamment vendeur pour que le titre anglais, Stranger than fiction, (« Plus étrange que la fiction », titre qui a le mérite d’être clair : des histoires réelles auxquelles personne ne croirait si on les trouvait dans un roman) passe à la trappe au profit d’un Festival de la couille discutable. On passera sur ce petit détail en soulignant qu’outre la magnifique couverture qui illustre le recueil, Palahniuk est enfin mieux traité sous nos longitudes : Freddy Michalsky, traducteur inadapté à l’écriture de l’auteur et responsable du mémorable « Club la cogne », a été remplacé par Bernard Blanc (on déplore toutefois que ce ne soit pas le cas pour son dernier roman, Journal intime, tout juste paru chez Gallimard et toujours traduit par Michalsky). Un plus notable qui adoucit nettement le style. Douceur remarquable et bienvenue quand le texte traite de ces dingues qui construisent pierre après pierre de véritables châteaux médiévaux (« Une Profession de foi inscrite dans la pierre », un petit chef-d’œuvre), sacrifiant tout pour une passion invraisemblable au premier coup d’œil : famille, argent, temps, rien n’y résiste. Le but ? Construire des monuments délirants qu’ils revendent peu après posée la dernière pierre, non par amour du profit, mais bien pour continuer à construire, seul moteur de leur existence instable. Ailleurs, nous découvrons avec stupéfaction les réactions des passants quand ils croisent deux types habillés en chien (version Disneyland). De la haine pure et simple au mépris le plus acide, la vision qu’offre l’humanité aux deux déguisés est pour le moins choquante et hilarante, voire incompréhensible. « Ma vie de chien » est une petite (et courte) merveille qui mérite à elle seule l’achat du recueil. Enfin, il faut souligner que si ces dingues sont aussi repoussants qu’attachants, Palahniuk ne s’épargne pas. Dans la troisième et dernière partie, il se livre à une véritable auto-psychanalyse aussi drôle qu’étonnante (voir à ce sujet l’inénarrable passage où il essaie une pommade sur son crâne censée l’embellir pour la promo télé du film Fight club, et où une allergie foudroyante le transforme en Elephant Man…).
Au final, Le Festival de la couille et autres histoires vraies est un recueil indispensable pour tout admirateur de Palahniuk. Mais au-delà d’un cercle restreint de fans, c’est aussi un formidable ticket d’entrée pour le monde intérieur d’un écrivain que rien ne semble déranger. Une sorte de galerie de portraits saisissants, parfois hallucinants, parfois effrayants, mais évidemment humains et fragiles. Précipitez-vous, Le Festival de la couille est un vrai grand livre, un livre qui fait du bien. Et ils sont peu nombreux.