Sean STEWART
MNÉMOS
276pp - 22,00 €
Critique parue en octobre 2009 dans Bifrost n° 56
De Sean Stewart, on avait déjà pu lire trois romans en Français : l'excellent L'Oiseau moqueur chez Calmann-Lévy « Interstices », Le Jeu de la passion chez Alire, et Yoda, sombre rencontre (une starwarserie ; il faut bien vivre). Quatrième roman, et quatrième éditeur pour cet auteur qui risque de pâtir de ce dispersement. Et c'est bien dommage, car il a des choses intéressantes à raconter.
Le Fils de nulle part, c'est Mark, jeune garçon aventurier issu du peuple qui décide un jour de s'attaquer au Bois des Spectres, une forêt particulière où le temps ralentit au fur et à mesure qu'on s'y enfonce. Son but : aller jusqu'au Donjon Rouge, ce que de nombreux héros n'ont jamais réussi. S'il parvient à ses fins, Mark pourra alors réclamer auprès du roi Astin la récompense qu'il souhaite. Et voici que contre toute attente, Mark ressort du Bois… et part derechef à la cour pour demander au roi la main de sa fille, Gail, dont il est instantanément tombé amoureux la première fois qu'il l'a vue. Il ne se rend alors pas compte qu'avec Gail viennent les obligations du noble qu'il sera obligé de devenir, contre son gré.
Plus que Fils de nulle part, Mark est le Fils de Personne — c'est du reste le titre VO de l'ouvrage, Nobody's Son, prix Aurora en 1994. En effet, plus qu'une quête sur ses origines, c'est une quête sur son identité qu'il entreprend. Mark a vu son père quitter le foyer quand il était jeune, et le garçon n'a eu de cesse depuis de se questionner sur les raisons qui l'ont poussé à accomplir ce geste ; était-ce dû à Mark ? Inadapté pendant son enfance, le jeune homme le sera toujours dès lors qu'il se marie à Gail : lui, l'homme du peuple, le parvenu, ne comprend rien au mode de fonctionnement de ces courtisans, à leurs non-dits, à leurs mesquineries. Et quand il prend soudainement conscience de tout ce qui lui échoit désormais en termes de devoir, il hésite à s'enfuir. Heureusement qu'il se fait des amis à la cour, la pilule sera un peu moins dure à avaler, et sa prise de conscience de tout ce qui l'attend douce-amère. Heureusement aussi qu'il y a Gail, cette princesse prête à dormir en pleine forêt alors qu'il pleut, sa joie de vivre l'aidera à tenir le coup. Et, au final, à se forger son identité, ce qui lui permettra de trouver sa place dans le monde.
Il se passe peu de choses dans ce roman ; il y a néanmoins quelques fantômes issus du passé, ce passé que le Bois des Spectres retenait prisonnier avant que Mark n'y triomphe. Les fantômes et les souvenirs vont alors revenir hanter la région, mais de manière insidieuse, à peine perceptible, de telle sorte que Mark va se remémorer des bouts de son enfance qu'il avait totalement occultés. Il devra aussi faire face à quelques spectres mal intentionnés, mais puisqu'il est déjà revenu vivant du Donjon Rouge…
Le Fils de nulle part s'avère une fantasy subtile, une habile réflexion sur les notions d'identité, de responsabilité. N'allez pas y chercher d'actes héroïques, mais davantage un récit mélancolique sur les notions évoquées ci-dessus, le temps qui passe, la place de chacun dans le monde. Une fantasy profondément humaniste, en somme, qui impose Sean Stewart comme un auteur à (re)découvrir.