Longtemps annoncés par les prophètes de mauvais augure et par la science-fiction, les extraterrestres ont fini par débarquer sur Terre. Dans leurs astronefs en forme d’œuf, dont la coque reste impénétrable aux armes et aux instruments d’observation, ils sont apparus sans avertissement. Quatre vaisseaux tombés du ciel sur le continent américain, provoquant aussitôt la peur et la curiosité. Bien loin de l’agitation des militaires et de l’analyse froide des IA du système de défense, Tommy se rend à contrecœur à l’école. Depuis quelque temps, il rechigne en effet à rejoindre sa classe, arrivant de plus en plus en retard. Si les disputes de ses parents ne sont pas étrangères à ce fait, l’attitude des adultes de son établissement n’arrange guère les choses. Jusque-là, sa connaissance de l’autre monde lui avait permis de supporter ce calvaire. Mais, jibelins, kernes, daléons et thents, toutes ces créatures évoluant aux marges du monde physique et qu’il est le seul à voir, semblent désormais l’ignorer. Et ce désintérêt soudain lui fait pressentir le pire. Quelque chose de grave et de définitif…
Gardner Dozois ne figure pas parmi les auteurs les plus connus dans nos contrées. La faute à la faible appétence pour la forme courte dans l’Hexagone, format de prédilection d’un écrivain s’étant également illustré outre-Atlantique comme essayiste, rédacteur en chef du magazine Asimov’s Science Fiction et anthologiste, notamment avec les fameux Year’s Best Science Fiction. Le Fini des mers aura mis plus de quarante ans pour être traduit par Pierre-Paul Durastanti et ainsi rejoindre la petite vingtaine de titres de la collection « Une heure-lumière », entrant en résonance avec une actualité funeste : le décès de Gardner Dozois. Le destin est parfois facétieux. Certes, on ne retiendra pas ce texte pour l’extrême originalité de sa thématique. À vrai dire, le premier contact avec les extra-terrestres fait partie des lieux communs de la science-fiction. La novella de Gardner Dozois pâtit sans doute aussi d’une traduction tardive sous nos longitudes, donnant la fausse impression que le texte ne fait que ressasser des motifs déjà lus ou vus par ailleurs, dans des œuvres plus récentes. Pourtant, en dépit de son âge (il a été publié en 1973 outre-Atlantique), Le Fini des mers se distingue par son traitement particulier, alternant le registre de la tragi-comédie lorsqu’il s’agit de relater l’agitation absurde des gouvernements confrontés à l’arrivée des extraterrestres, et celui plus dramatique de l’enfance en souffrance. On s’émeut ainsi de l’existence de Tommy, pauvre gosse tiraillé entre un quotidien sordide et une imagination débordante, stimulée par sa faculté à percevoir et à communiquer avec les Autres. Témoin indirect de la fin programmée d’une humanité s’étant toujours comportée en sale gosse, il se retrouve dans une situation d’impuissance absolue, dans l’impossibilité à communiquer son mal être avec des adultes qui le dédaignent, ne cherchent pas à le comprendre et font le vide autour de lui. Et, lorsque le dénouement brutal survient, on referme le livre avec la gorge serrée, choqué par sa froideur et son caractère impitoyable. Bref, si Le Fini des mers ne brille pas pour le vertige de ses spéculations, il compense amplement ce fait par l’émotion et le malaise qu’il suscite. Après tout, c’est aussi pour cela qu’on aime la science-fiction.