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Les critiques de Bifrost

Le Fleuve céleste

Guy Gavriel KAY
L'ATALANTE
736pp - 30,50 €

Critique parue en avril 2017 dans Bifrost n° 86

Auteur aussi brillant que populaire, le canadien Guy Gavriel Kay est de nouveau réédité par les éditions l’Atalante deux ans après Les Chevaux célestes, autre énorme pavé situé dans le même univers que le présent ouvrage. Cette fois, Le Fleuve céleste délaisse la IXe dynastie pour la XIIe et propulse le lecteur trois siècles plus tard, dans une Chine fantasmée, terreau fertile pour l’imagination fabuleuse et la plume élégante de l’écrivain. Comme à son habitude, Kay se sert d’une base historique solide – qu’il revendique légitimement – pour tisser une histoire ambitieuse, polyphonique et finalement grandiose. À la différence des Chevaux célestes, le lecteur n’entre plus dans un empire en pleine gloire, mais bien dans une Kitaï qui se meurt, qui décline. L’empereur n’est plus qu’un homme mal conseillé, étouffé par la cacophonie des clans conservateurs et progressistes. Le Fleuve céleste n’est pourtant pas qu’une histoire de cours et de nobles, mais bien celle de l’ascension d’un homme, un Robin des Bois à la sauce asiatique, qui finit par accomplir un fabuleux destin. Celui de résister, de briller et de se hisser au-dessus de la médiocrité de l’élite intellectuelle de l’époque. Rai Daiyan, personnage magnifique et flamboyant, s’avère encore plus réussi qu’un certain Shen Tai dont on se souvient pourtant avec émotion. À ses côtés naviguent des seconds rôles tout aussi réussis et passionnants, à commencer par Lin Shan, l’une de ces figures féminines dont Kay a le secret, et Zhao Ziji, ami et combattant plein de fougue et d’honneur.

Le Fleuve céleste arrive rapidement à surpasser son illustre aîné. D’abord parce que Kay semble n’avoir plus besoin d’introduire son univers, ensuite parce que les intrigues politiques et la dimension épique s’équilibrent avec une facilité évidente. Au-delà de ces atouts primordiaux, c’est aussi, et surtout, la beauté et l’exotisme de cet univers tiré de la Chine ancienne qui fait tout le charme du roman. Habitué à bâtir des univers depuis toujours, l’auteur canadien délivre ici une superbe toile de fond où la poésie, la calligraphie, les jardins et les mélodies de pipa deviennent autant d’éléments dépaysant mais aussi fascinants. On est tout de suite transporté par la plume de Kay, par l’intelligence de la construction de son récit et l’entrelacs de ses fils narratifs.

Il faut également rendre honneur à ce qu’explore Le Fleuve céleste au cours de ces 700 pages. Kay nous y parle de valeurs aujourd’hui désuètes, de courage, de résistance face à l’adversité mais également d’amour, de douceur, de beauté. Le Canadien nous raconte une époque qui entre en résonnance avec la nôtre, tisse une toile mélancolique, à la fois sur la fin d’un empire de légende, mais aussi sur la disparition de figures humaines passionnantes. Le Fleuve céleste fait naître des héros, jongle avec l’épique, la sauvagerie et l’intime. En effet, au-delà de cette fresque minutieuse, le roman sait s’immiscer dans la vie de ses personnages. Avec un talent sans cesse renouvelé, Kay nous convie à des petites destinées qui jalonneront le parcours des grandes figures historiques qu’il s’amuse à tordre pour bâtir son aventure. Le résultat n’en est que plus touchant.

Comme pour son prédécesseur, on pourrait ici pointer du doigt un certain défaut de répétition, la propension de Kay à répéter au lecteur des faits déjà énumérés auparavant – le non dégraissage d’une centaine de pages superflues. Mais en regard de l’immense réussite que constitue le résultat final, le lecteur oubliera très rapidement cet accroc récurrent chez l’auteur. Les amateurs de Kay seront ravis, les autres pourront en profiter pour découvrir une épopée grandiose – et se pencher tant qu’à faire sur le précédent volume.

Nicolas WINTER

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