B.R. BRUSS
CRITIC
704pp - 25,00 €
Critique parue en avril 2015 dans Bifrost n° 78
Sous ce titre surgi de nulle part se présente un omnibus de B. R. Bruss comprenant les romans Et la planète sauta…, L’Etrange planète Orga et Parle, robot ! Sans oublier la nouvelle « Le Coupable » et une postface signée Laurent Genefort qui passe en revue les livres de l’auteur.
B. R. Bruss est apparu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il atteignait la cinquantaine, pour signer ses œuvres relevant de l’Imaginaire. La plus grande part d’entre elles allaient paraître au Fleuve Noir, quarante-trois dans la collection « Anticipation » et neuf dans « Angoisse », et ce durant les vingt-cinq premières années d’« Anticipation » et le premier tiers des numéros, du 33, SOS Soucoupes, au 651, Penelcoto. Trois autres romans furent publiées ailleurs sous ce pseudonyme : Et la planète sauta… (Le Portulan) sur lequel nous allons revenir, et Apparition des surhommes (Temps futurs), au début de la carrière de Bruss, puis Les Espaces enchevêtrés (chez NéO), tout à la fin. B. R. Bruss reste comme l’un des auteurs phares de la période classique d’« Anticipation » et l’un de ceux qui demeurent lisibles aujourd’hui bien qu’il s’agisse clairement de la SF de papa, voire de grand papa…
Parle, robot !, qui date de 1969, est un B. R. Bruss déjà tardif : l’autobiographie ou la confession d’un robot devenu conscient au fil de sa longue « vie » et de ses différents propriétaires. Le robot du titre n’ayant jamais révélé sa conscience qu’à des mourants, il n’est point ici question de débattre de la conscience artificielle ; Bruss fait l’économie de cette dimension spéculative consubstantielle à la thématique du robot. Même si ce récit reste meilleur que la majeure partie de ce que la collection publiait alors — on s’autorisera même une pointe de nostalgie à sa lecture —, ça n’en reste pas moins une SF sans réelle envergure.
L’Etrange planète Orga est plus typique de la manière de B. R. Bruss. Le plus souvent, chez Bruss, les personnages sont des chercheurs (ou se trouvent dans une position de chercheurs) avec une énigme spatiale sur les bras. Situation qui peut être conflictuelle ou seulement mystérieuse. Les armes ne sont que très rarement la solution, et on finit par aboutir à la paix sans qu’un camp soit anéanti par l’autre et par trouver un modus vivendi. Dans ce roman, un petit groupe d’explorateurs part à la découverte de la mystérieuse et réputée dangereuse planète Orga. Des mystères qui seront percés, com-me il se doit, et des conflits qui s’éteindront comme des feux privés d’oxygène…
Avec Et la planète sauta…, on remonte le temps jusqu’en 1946. Premier roman de l’auteur, le livre s’inscrit au sein de la production qui suivit les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki. Il est composé de deux parties, la première se scindant elle-même en deux. Un aérolithe s’écrase en Sologne et deux chercheurs assistent à l’événement ; ils récupèrent l’objet et découvrent qu’il contient des artefacts extraterrestres — mieux, une bibliothèque. Après avoir passé des dizaines d’années (et le deuxième quart du livre) à étudier celle-ci en secret dans leur manoir solognot, nos chercheurs finissent par avoir une assez bonne idée de la civilisation rhaméenne développée sur la cinquième planète du système solaire aujourd’hui réduite à un champ d’astéroïdes orbitant entre Mars et Jupiter suite à une monstrueuse catastrophe. La seconde moitié du roman est constituée de l’extraordinaire document que représente le journal de Morar, politicien, savant et philosophe contant les derniers jours de Rhama et le rôle qu’il y joua — il s’agit bien sûr d’une mise en garde contre le risque d’un anéantissement global dû à l’énergie atomique, Bruss ciblant clairement le monde communiste. Quand Gérard Klein réédita Et la planète sauta… pour la première fois en 1971, en « Ailleurs & Demain classique », la guerre froide battait encore son plein, et le lire à la lueur de ces circonstances lui conférait sans doute un intérêt particulier. Si le risque d’une guerre nucléaire totale s’est largement estompé — sans doute moins qu’on veut bien le croire, ceci étant —, lire aujourd’hui ce récit, presque soixante-dix ans après sa parution initiale, s’avère malgré tout intéressant, et ce de manière assez inattendue, avouons-le. Les intentions dont Bruss taxait Rahrs, les ennemis de Rhama, n’apparaissent-elles pas aujourd’hui dans des pratiques extrêmes de marketing ou de management ?
B. R. Bruss écrivit aussi sous les noms de Roger Blondel et de René Bonnefoy (son vrai nom). On se perd en conjectures quand on compare l’œuvre de B. R. Bruss à celle de certains de ses collègues en « Anticipation », surtout à la lumière du fait que cet ami de Pierre Laval collabora sous l’Occupation et occupa un poste important à la censure du régime de Vichy. Mais Bonnefoy s’illustra aussi sous le feu durant la Grande Guerre, et fut décoré pour cela. On peut dès lors sans doute interpréter à la fois sa collaboration et le pacifisme de son œuvre ultérieure dans un même refus de réitérer les boucheries de 14…
Reste que cet omnibus est un hommage, et un hommage mérité, à l’un des auteurs qui fut un des piliers du Fleuve Noir « Anticipation ».