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Les critiques de Bifrost

Le formidable événement

Le formidable événement

Maurice LEBLANC
FOLIO
260pp - 8,90 €

Bifrost n° 70

Critique parue en avril 2013 dans Bifrost n° 70

Poursuivant son entreprise d’archéologie littéraire commencée avec l’anthologie Chasseurs de chimères, Serge Lehman participe cette fois-ci à l’exhumation d’un roman de Maurice Leblanc, plus connu sous nos longitudes pour le personnage d’Arsène Lupin que pour ce livre de 1921. Nul doute que sa préface donnera plus à réfléchir et polémiquer que le récit qu’elle introduit, tant celui-ci apparaît désuet et léger. Il y creuse en effet le sillon tracé avec Chasseurs de chimères, où il soulignait l’existence d’une SF francophone anticipant de quelques années l’invention de Hugo Gernsback. De là à donner la paternité du genre à la France, du moins au vieux continent, le pas est vite franchi… On laissera aux exégètes la liberté d’en examiner et commenter les arguments.

En attendant, revenons au roman de Maurice Leblanc. Quel est le formidable événement qui lui donne son titre ? Un cataclysme, pas moins. Le brusque exhaussement des fonds marins d’une partie de la Manche, avec pour corollaire un rapprochement contraint entre la perfide Albion et la douce France. Si la rapidité de l’accident géophysique laisse sceptique, celui-ci ne semble pas complètement dépourvu de fondement. Dans la postface d’une autre réédition du même roman — aux éditions de l’Evolution, dans la collection « Science en Fiction » —, Serge Simon relève qu’un tel événement paraît plausible. Maurice Leblanc semble en effet s’être documenté sérieusement sur la géologie des lieux et, s’il choisit de précipiter le cataclysme et d’ignorer ses répercussions sur les deux rives de la Manche, donnant l’impression d’en minimiser les effets, il n’en demeure pas moins que l’origine du phénomène peut être validée par la science.

A la lecture du roman, on sent cependant que la merveille scientifique ne constitue pas le cœur du propos de l’auteur français. Tout au plus fournit-elle un cadre exotique à l’histoire, guère différent de ces récits de monde perdu dont le lectorat se montre si friand à l’époque. En cela, Le Formidable événement relève bien de ce roman populaire, héritier à la fois des feuilletonistes et du roman vernien.

Passé la terreur et l’émerveillement provoqués par l’émergence des nouvelles terres, Maurice Leblanc nous raconte la périlleuse expédition de Simon Dubosc, courageux Normand et non moins estimé patriote français. Avec résolution, le jeune homme traverse à pied l’isthme tout neuf, accomplissant ainsi un exploit à même d’attendrir la morgue aristocratique du père anglais de sa dulcinée. Il ne profite pourtant pas longtemps de son succès. Contraint de retourner dans le no man’s land pour secourir l’élue de son cœur, il fait route accompagné d’un groupe d’indiens aux mœurs moitié saltimbanque, moitié apache (du genre Parisien). L’intrigue s’oriente alors vers le registre du roman d’aventures saupoudré d’un brin d’esprit chevaleresque, voire de western. Car sur ces terres inexplorées pullulent désormais des ruffians de toute sorte. Attirés par la perspective de faire fortune, ils pillent sans vergogne les nombreuses épaves ramenées au sec, n’hésitant pas à s’entretuer et nouant des alliances aussi volatiles que des promesses électorales. De quoi corser l’équipée de Simon Dubosc et lui donner du fil à retordre…

On devine vite que Maurice Leblanc s’est beaucoup amusé en dépeignant ces meutes de va-nu-pieds aux trognes marquées par le vice. Il ne déroge toutefois pas aux recettes et clichés du roman populaire. Linéaire, répétitive et sans surprise, la narration alterne les moments calmes où l’on découvre la configuration des terres émergées, et les moments forts où s’affrontent, parfois dans des batailles rangées homériques, la troupe de Simon Dubosc et des hordes de criminels de tous poils.

Au final, Le Formidable événement apparaît bien comme une vieillerie au style daté dont la monotonie des péripéties et des coups de théâtre parvient à grand-peine à vaincre l’assoupissement du lecteur. Bref, un ouvrage à réserver aux amateurs d’antiquités.

Laurent LELEU

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