« Je tue des hommes. Et des femmes, aussi, parce que je ne suis pas sexiste. Mais pas les enfants ; je ne suis pas ce genre de psychopathe. »
New-York, dans quelque temps : une ville à moitié vide, désertée de ses résidents et boudée par les touristes du monde entier depuis une vague d’attentats aussi sales que meurtriers. Ancien éboueur, nouveau veuf, l’homme qui se fait appeler Spademan a dû se recycler dare-dare. Il a choisi d’utiliser un savoir-faire acquis lors de son précédent emploi : le maniement du cutter. On le contacte, il questionne et, s’il accepte, il exécute. Le bouche à oreille est la meilleure des publicités, la conversion réussie, les affaires florissantes.
Jusqu’au jour où T. K. Harrow, télévangéliste très puissant, lui demande d’assassiner rien de moins que sa fille. Il faut dire qu’à ses dires, la donzelle à la fraîche majorité fait preuve d’un comportement peu orthodoxe, voire très… déluré. Une attitude qui cadre mal avec les activités de son père : le saint homme projette d’utiliser les dernières avancées technologiques en matière de réalité virtuelle pour créer son propre Paradis. Une chose est certaine, en acceptant la commande, Spademan se fourre dans un sacré guêpier.
« La robe de Mark ondule dans son dos.
Puis se déchire.
Le dos de Mark ondule à son tour.
Et se déchire lui aussi.
Mon ami se penche en avant.
Une bosse lui pousse dans le dos.
Puis il devient un ange.
Aux ailes déployées. »
Au-delà de la maîtrise science-fictive, des allusions franches au roman noir (Spademan en référence à Sam Spade, héros du Faucon maltais, par exemple) ou des jeux de mots lourds de sens sur les outils de jardin (les anglophones distinguent le terme « shovel », pelle destinée à ramasser, du mot « spade » désignant l’outil qui sert à creuser et à décaisser ; le titre original étantShovel’s ready et le nom du personnage Spademan, chacun mesurera l’ampleur de la symbolique…), ce qui frappe vraiment dans Le Fossoyeur, c’est la dimension poétique de la narration, ce rythme savamment orchestré par Adam Sternbergh et consciencieusement rendu par Florence Dolisi.
Grâce à cette musique dont les nombreuses ellipses sont toutes gérées pour qu’on goûte pleinement leur saveur, la lecture du Fossoyeur procure un ravissement hypnotique qui occulte totalement les rares erreurs formelles du roman (comme ce petit égarement du point de vue au chapitre 27).
Honnêtement, Le Fossoyeur est un livre si bien écrit qu’on a envie de le reprendre sitôt fini pour en savourer de nouveau la facture. On a envie de dire merci avant d’imiter Oliver Twist : « S’il vous plaît, Monsieur, j’en veux encore. » Et pas de salades, on sait qu’il y en a… Merci.