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              MNÉMOS
               336pp                -                22,00 €             
Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119
Claire Krust s’est fait connaître en publiant des romans inspirés du folklore nippon chez ActuSF. Changement de décor (et d’éditeur) avec Le Golem de pierre, qui cultive une fantasy aux contours et aux couleurs plus classiques. Un livre qui aura pris son temps pour sortir des limbes, comme il se doit lorsque le manuscrit original a été perdu, puis miraculeusement retrouvé, puis remis sur le métier, ainsi que l’autrice s’en explique en postface. L’objet lui-même constitue à lui seul un défi à la fatalité. Ce qui tombe bien, car la fatalité est la grande affaire de l’histoire qu’il raconte.
Soit deux orphelins, Yaée et Almay, deux jumeaux élevés par leurs grands-parents dans un hameau perdu. La fille rêve d’une vie impossible loin de ses collines natales. Le garçon entend les murmures des andas, les esprits de la nature que les sorciers utilisèrent jadis pour créer les golems à l’origine de la dévastation du monde. Ce qui le voue à la réclusion et la prière pour s’attirer, sinon leur miséricorde, du moins leur indifférence. C’est la partie joyeuse.
Leur destin bascule lorsqu’une étrangère parvient à susciter un golem à partir des esprits des collines, en utilisant Yaée comme catalyseur de cette magie animiste. La fille est consumée mais ne meurt pas complètement. Une étincelle de conscience demeure, transférée dans la chair du géant. Séparée d’elle-même, captive d’un corps monstrueux qui n’obéit qu’à la voix de son maître, la voilà devenue l’enjeu d’un conflit entre sorciers et royaumes ennemis, quand Almay, dominé par une colère qui semble renforcer sa sensibilité aux andas, atterrit dans les Hautes Terres, en quête de vérité et d’un moyen d’assouvir sa vengeance.
S’ensuit la chronique de leurs trajectoires empêchées, l’intérêt fluctuant parfois selon les points de vue, parfois selon les circonstances, qui sont celles d’un roman cochant toutes les cases d’une fantasy initiatique pas toujours très convaincante, que ce soit sur le plan des intentions, de la construction ou de l’écriture. C’est également en vain que les férus de celtisme y chercheront l’ambiance revendiquée par l’éditeur en quatrième de couverture. Claire Krust lorgne plutôt du côté du folklore yiddish, voire de la série L’Attaque des Titans, avec laquelle le roman partage un certain goût pour le dolorisme, le spectaculaire, les atermoiements et les longues introspections. Cette oscillation constante entre l’intime et l’épique sert de carburant pour explorer, en filigrane, la notion de destin. Comme il existe une énergie du désespoir, il y aurait une poésie de la fatalité, une forme d’acceptation qui ne peut fleurir qu’au contact de l’inéluctable, lorsque l’individu, confronté aux limites de sa volonté, découvre dans le renoncement la vérité d’un ordre qui le dépasse et le contient. C’est ainsi que Le Golem de pierre creuse une veine tragique, malheureusement sans parvenir à nous toucher vraiment, en raison des carences de son univers, de son intrigue et de ses personnages, comme si le roman avait été rattrapé, au bout de dix ans d’écriture erratique, par les fantômes de sa gestation contrariée.
Arnaud BRUNET