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Les critiques de Bifrost

Le Goût de l'immortalité

Catherine DUFOUR
MNÉMOS
256pp - 17,50 €

Critique parue en octobre 2024 dans Bifrost n° 116

Ouvrons notre bon vieux Larousse, et tournons-en les pages jusqu’à l’article consacré au mot « goût ». L’on y rappelle que ledit terme désigne aussi bien « la saveur de quelque chose » que « l’attirance » éprouvée pour celle-ci. Soit une polysémie qu’avait assurément  en  tête  Catherine Dufour lorsqu’elle intitula son roman le plus fameux.

Il y est en effet et d’abord question du goût au sens sensuel du terme, celui que procure son impérissable condition à son héroïne et narratrice. Immortelle, celle dont on ne connaîtra jamais le nom l’est assurément puisque son autobiographique et rétrospectif récit composé en l’an 2304 ramène lecteurs et lectrices deux siècles auparavant… Plus précisément en 2113, année en laquelle notre narratrice n’était encore qu’une adolescente résidant dans l’une des innombrables mégatours se dressant à presque 10 000 mètres de hauteur, dans la cité de Ha Rebin (ou bien encore l’actuelle Harbin). Sise en une Mandchourie s’étant apparemment séparée de la Chine, la cité constitue désormais l’un des pôles majeurs d’un système planétaire où l’Occident  n’occupe  plus qu’une place tout à fait marginale. Car, en ce début du troisième millénaire, selon la géopolitique futuriste de Catherine Dufour, c’est en Asie orientale que se joue le sort du monde. La région jouit pour ce faire d’une large palette d’atouts, que l’autrice imagine d’une foisonnante manière. Cette domination est-asiatique tient d’une part à l’avance décisive de la région dans des matières réellement existantes telles que les technologies numériques, en faisant l’épicentre d’un univers virtuel ayant atteint d’inouïes proportions. Témoignant par ces extrapolations high tech d’un art consommé de la hard SF, Catherine Dufour va par ailleurs puiser dans le registre du fantastique pour concevoir cet autre fondement de la toute-puissance asiatique qu’est l’immortalité. En effet, c’est grâce à une forme syncrétique de magie, agrégeant vaudou caribéen et spiritualité extrême-orientale, que l’héroïne a vaincu la mort…

L’immortalité : un état que d’aucuns jugeraient hautement désirable, notamment en un xxiie siècle que l’écrivaine dépeint comme secoué par une inédite et effrayante épidémie, mais dont la saveur est quelque peu amère… Plus zombiesques qu’olympiens, tels sont en effet les corps de celles et ceux ayant accédé à l’éternité, et que Catherine Dufour donne à voir avec une troublante force d’évocation, teintant alors sa plume d’une horreur weird. D’une âpreté non seulement physique, la qualité d’immortel l’est encore moralement, comme l’éprouvera la protagoniste au terme de la manière d’enquête policière qu’est aussi ce roman protéiforme. La singulière survivance des uns se déroule aux étranges dépens des autres, dans un avenir où les rapports de domination demeurent toujours aussi brutalement vifs, comme le révèlent des pages empreintes d’une dystopie cauchemardesque. Aussi cruelle soit-elle, cette épiphanie ne remettra cependant pas en cause l’irrépressible inclination de la narratrice pour la vie éternelle. Car, à l’instar de ceux produits par les plus puissantes des substances addictives, Le Goût de l’immortalité est de ceux auxquels il est impossible de renoncer…

 

 

 

Pierre CHARREL

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