« Tu m’irradieras encore longtemps… » chantait Alain Bashung dans Le Dimanche à Tchernobyl. Sans conteste, la question des déchets nucléaires est une de celles qui empoisonnent l’humanité depuis quelques décennies, et qui continuera à le faire pendant une certaine durée. Que faire de toutes ces barres d’uranium ou même du matériel contaminé par la radioactivité ? La littérature s’est naturellement emparée du sujet et un récit tel que Yucca Mountain de John D’Agata s’attache à montrer que leur stockage n’est pas sans poser d’innombrables problèmes, dont aucun n’a de solution simple : où stocker ces déchets ? Comment s’assurer que le lieu est pérenne pour dix ou plutôt cent mille ans ? Comment s’assurer que les générations futures sauront que c’est un endroit à éviter ? Si la science s’est posé la question, notamment avec le Groupe de Travail sur l’Interférence humaine et la proposition du consultant Thomas A. Sebeok de créer un « clergé atomique », la SF avait déjà abordé le sujet. Citons Un cantique pour Leibowitz de Walter Miller, voire, à sa façon, Fondation d’Isaac Asimov — deux œuvres qui, certes, questionnent moins l’énergie nucléaire que la perpétuation des informations. Plus récemment, il ne faudrait surtout pas oublier un certain roman de Neal Stephenson mettant en scène un monastère ayant plus de lien avec le feu nucléaire qu’on ne l’imagine au début.
Le Grand enfouissement de l’autrice suisse Annette Hug prend le parti de nous montrer non les conséquences d’un tel clergé, mais sa possible création. Au cours des années 2010, ils sont cinq, missionnés par un think tank pour créer un ordre, pas religieux mais au fonctionnement monacal, dont le but est de trouver le meilleur moyen de maintenir la transmission des informations relatives aux déchets nucléaires au fil des siècles. On va suivre leur quotidien, fait de rituels et d’échanges d’informations, on va voir l’élargissement de cet ordre au fur et à mesure de l’arrivée de novices. On va lire les histoires qu’ils se racontent de temps à autres, manière de contes du futur. On va voir, un peu, comment le projet sera perdu. Raconté par un narrateur collectif, le récit nous fait vivre cette expérience, au plus près de l’intimité de ses participants.
Las, si Le Grand Enfouissement est indéniablement un récit subtil, questionnant l’idée et la pertinence d’un clergé atomique, porté par une plume sensible, à hauteur de personnage, les amateurs de science-fiction en seront pour leurs frais. Sous l’angle purement prospectif, le roman ne va pas plus loin que des ébauches de pistes et, en ce sens, reste frustrant. Néanmoins, les lecteurs plus en phase avec la littérature blanche y trouveront sûrement leur compte.