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Les critiques de Bifrost

Le Grand Jeu

Le Grand Jeu

Benjamin LUPU
BRAGELONNE
360pp -

Bifrost n° 102

Critique parue en avril 2021 dans Bifrost n° 102

Outre les rééditions d’usage, le « mois du cuivre » bragelonnien (opération commerciale qui court depuis 9 ans) proposait cette année un roman français tout neuf, Le Grand jeu.

À Constantinople, en 1885, la situation entre les deux grandes puissances semble stable. Le Nouvel Empire russe, dictature industrielle et inhumaine depuis la chute du tsar, écrase sous une poigne de fer sa partie du monde. En face, l’Alliance de l’Ouest tente de résister, malgré son retard technologique. Car les Russes savent utiliser les atouts de ces machines fascinantes et meurtrières que sont les dirigeables géants et les exosquelettes à vapeur. Coincé entre ces deux monstres, entre ces deux logiques, l’empire ottoman semble le terrain d’affrontement idéal. C’est dans cette ville magique, mais au climat politique tendu, que se rend Martina, après avoir commis un larcin audacieux à Paris. Avec ses complices, Mortier et Maurice, elle veut réussir le casse du siècle : voler un diamant d’une taille et d’une pureté incommensurables qui servira de monnaie diplomatique entre le Primat Imperator russe et le sultan. Bien évidemment, elle va se trouver mêlée à un jeu bien plus vaste que celui qu’elle envisageait, mettant ainsi sa vie et celle de beaucoup d’autres dans la balance.

Benjamin Lupu n’est pas tout à fait un novice en matière littéraire : on lui doit les « Mystères de Kioshe » (en partie coécrits avec Sylvie Poulain), série de courts récits autopubliés, et il a participé aux Contes et récits du Paris des merveilles aux côtés de Pierre Pevel. Avec Le Grand Jeu, il signe un projet ambitieux plutôt bien maîtrisé. Le monde imaginé est aussi riche que cohérent : le fond historique, solide, tend une toile de fond tout à fait crédible, pleine de reliefs mais sans pesanteur. Les relations entre les forces en présence font monter progressivement la tension ; l’auteur pose les pions les uns après les autres, enrichissant son échiquier de nouveaux protagonistes, creusant les motivations de certains, retournant les certitudes d’autres. Certes, on sait assez vite à quoi s’en tenir et la trame générale n’est pas machiavélique au point de surprendre totalement le lecteur. Mais le cadre général posé joue son rôle : offrir un écrin crédible aux aventures de notre jeune monte-en-l’air.

Car Le Grand jeu est avant tout le récit des aventures rocambolesques et vivifiantes d’une jeune femme pleine d’énergie et d’envies, de passions et de contradictions. Martina Krelinkova, dont on découvre rapidement qu’elle a passé sa jeunesse à Constantinople. Et qu’elle en a déjà fréquenté les rues et les bas-fonds. Retour aux sources, en quelque sorte. Avec ses jokers sortis du passé, mais aussi ses fantômes dans les placards : un père, une sœur, un mentor. Tout un monde qui lui explose à la figure et va bouleverser ses plans initiaux. Pour la plus grande joie du lecteur, invité à suivre ses pérégrinations dans une ville en sursis, à l’accompagner sur les toits et dans les sous-sols, à tenter d’imaginer comment elle compte dérober la pierre précieuse, à s’inquiéter pour sa survie. Lupu reprend les recettes des romans d’aventures classiques  : de l’action, de l’action, de l’action. Pimentée d’une mesure de doutes, mais pas trop pour éviter que le soufflé ne retombe. Et l’équilibre est trouvé, malgré quelques maladresses. La sauce prend et l’on est vite happé dans ce Grand jeu, jusqu’au final haletant.

Reste à espérer que ce roman trouvera son public, permettant ainsi à Benjamin Lupu de poursuivre les aventures de Martina dans ce Siècle Rouge et noir plein de promesses.

Raphaël GAUDIN

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