Jean RAY, Arnaud HUFTIER
ALMA
312pp - 18,00 €
Critique parue en juillet 2017 dans Bifrost n° 87
Publié en 1942, Le Grand Nocturne, recueil de sept récits, s’ouvre sur la nouvelle éponyme. Le héros, Théodule Notte, dont le nom se marie à la musique qui se répand dès la première page (« Un carillon versa sa pluie de fer et de bronze »), est un vieillard dont le cours paisible des jours s’écoule en la compagnie vespérale de son ami, Hippolyte Baes. Les deux compagnons partagent un étrange souvenir, celui d’un soir où, revenant de l’école, Théodule fut pris d’une forte fièvre et vit des choses qui n’existaient pas. Mais en est-il bien sûr? ? Voilà que les tissus du temps et de l’espace s’entremêlent et que le monde de la nuit, le monde conjuré par notre réalité, s’interpose et parfois emplit le présent, semant avec lui l’horreur et la mort. C’est alors l’obscurité qui envahit le recueil, celle des cales des navires, celle de « La Ruelle ténébreuse », autre nouvelle remarquable, qui engloutit le monde. Mais, plus qu’engloutir, voilà que cette porte du néant offre à ses monstres une issue vers la réalité. Ce sont les stryges, qui envahissent et qui tuent. Le thème de la porte revient d’ailleurs dans la nouvelle suivante, « La Scolopendre », où trois jeunes Juifs festoient en attendant la fin, fin certaine, fin terrible qui les poussera au suicide, fin écrite, celle d’un funeste réveil où une sorcière passée dans le royaume des morts ne peut y rester longtemps et repousse la porte de son cercueil. C’est alors que le recueil semble rompre sa cohésion et que la lumière succède aux ténèbres, sans signe avant-coureur, sans excuse. C’est pour mieux se refermer dans « Quand le Christ marcha sur la mer » et, avec une ironie terrifiante, destituer l’homme, l’amour et la religion. Enfin le recueil se clôt sur un chef-d’œuvre, « Le Psautier de Mayence », lorsqu’un maître d’école (qui fait écho au chemin de l’école emprunté par Théodule Notte), ayant hérité d’un incunable, le vend pour acheter un bateau et voguer avec son équipage vers une destination hors du temps et de l’espace où même l’orientation n’existe plus. Alors, ce n’est plus le Grand Nocturne qui s’invite dans notre monde, mais notre folie insensée qui nous y précipite.