Six années séparent Notre-Dame-aux-Ecailles, second recueil de l’auteure, du présent Jardin des silences. C’est long, six années… Mais Mélanie Fazi prend son temps, trace son chemin dans la jungle des mondes de l’Imaginaire à son rythme, alternant entre ses activités de traductrice et d’écrivain. Aux vues des qualités de l’œuvre produite (deux romans et trois recueils, donc), elle fait bien.
Sous un habillage (très beau) évoquant celui des deux précédents recueils de l’auteure chez Bragelonne (repris depuis chez « Folio-SF »), Le Jardin des silences propose douze nouvelles (comme ces autres recueils, là encore) initialement publiées sur des supports divers (site internet, revue, mais surtout anthologies), donc deux inédits, le tout écrit/publié sur une période d’une dizaine d’années.
« Un petit bijou d’intelligence et de sensibilité », disait ici même (in Bifrost n°50) Claude Ecken à propos de Notre-Dame-aux-Ecailles. Une formule qu’on reprendra sans sourciller. Il y a une magie indéniable dans les textes de Mélanie Fazi. Une magie faite de simplicité, d’évidence, presque de candeur — comme un certain effarement quant à la perversité du monde, parfois, ce qui rend cette dernière plus dérangeante encore. C’est intimiste, limpide, mené d’évidence. Avec toujours bien présent les motifs au cœur de la création fazienne : l’enfance et l’adolescence, la bascule qu’opère le passage à l’âge adulte. Moins de fantômes, toutefois, dans le bouquet présenté. Et un fantastique qui lorgne davantage vers le conte (« Swan le bien nommé », ou encore « Un bal d’hivers »), s’avère sans doute moins angoissant que dans Serpentine (son premier recueil) et se pare plus volontiers des atours de la fantasy. Il y a quelque chose de Carole Martinez chez Mélanie Fazi (il faut lire Le Cœur cousu chez « Folio »), notamment dans sa manière de dépeindre un monde au merveilleux jamais forcé, toujours évident.
Et comme il en va de tous les recueils, on choisira ses textes préférés (« L’Arbre et les corneilles », assurément, ou la nouvelle titre) et ceux qu’on estime un peu en-dessous du reste. L’unité de ton, chez Fazi, peut parfois lasser. Peut-être pourrait-on attendre de l’auteure un « lâcher prise » plus total, plus débridé. Qu’elle se mette un peu plus en danger dans son écriture, qu’elle aille un peu moins où on l’attend. Peut-être… Reste une nouvelliste (puisque c’est ce que Fazi est avant tout, et tant mieux !) aux qualités d’âme et de style exceptionnels — normal qu’on lui en demande beaucoup. En attendant, nul n’hésitera à se perdre dans le présent Jardin des silences : il est des promenades moins grisantes.