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Les critiques de Bifrost

Le Livre d'Or de la science-fiction : James Tiptree

Le Livre d'Or de la science-fiction : James Tiptree

James Jr. TIPTREE, Pierre K. REY
POCKET

Bifrost n° 115

Critique parue en juillet 2024 dans Bifrost n° 115

Pour qui ignorerait encore tout d’Alice Hastings Bradley Sheldon (a.k.a., entre autres pseudonymes, James Tiptree, Jr.), ce volume du « Livre d’Or » constitue une très stimulante initiation à son univers science-fictionnel, à plus d’un titre saisissant…

Réunies en 1986 par Pierre K. Rey (et initialement publiées entre 1968 et 1980), les dix nouvelles de ce « Livre d’Or » dessinent de prime abord un paysage littéraire composite. Cet apparent hétéroclisme tient à celui des contrées science-fictionnelles explorées par Tiptree. Certains des textes s’inscrivent dans le champ aventureux de l’odyssée intersidérale sur fond d’un futur pareillement lointain, tels Houston, Houston, me recevez-vous ?, « Naissance d’un commis voyageur », « Ultime espoir », « Le Jeu du solitaire » et « Une source de joie innocente ». Les quatre derniers combinent à leur motif exploratoire celui d’entités extraterrestres aux diverses incarnations, allant de monstruosités titanesques (« Ultime espoir », « Le Jeu du solitaire ») à une planète érigée en être vivant (« Une source de joie innocente »), en passant par des aliens aux proportions plus modestes (« Naissance d’un commis voyageur »). Les six autres textes, quant à eux circonscrits au seul espace terrestre, relèvent de l’anticipation d’un avenir plus ou moins proche, là encore selon des modalités narratives plurielles. D’une tonalité dystopique, « Ligne de fuite » et « Comme des mouches » imaginent d’inédites pathologies, précipitant chacune à leur singulière manière la fin de l’humanité. Elle y échappe dans « Une fille branchée » à la noirceur (un peu) moins prononcée… du moins dans l’immédiat, car sa spéculation à la fois scientifique et sociologique sur l’avenir de la féminité n’augure in fine rien de bon pour l’espèce humaine. Moins apocalyptiques, plus spéculatives, « La Longue Marche » et « Une demi-heure sur une couverture Hudson Bay » s’inscrivent quant à elles dans la veine du voyage temporel et de ses vertigineux paradoxes. La première en suppose les effets à l’ample échelle de l’humanité, la seconde, plus intime, en dessine les conséquences pour son seul couple de personnages. Traité sur un mode ironique, cette « Demi-heure sur une couverture Hudson Bay » témoigne de l’humour (très) acide de Tiptree, marquant encore « Naissance d’un commis voyageur » et « Une fille branchée ». Volontiers caustique, l’écriture de l’autrice sait se faire, avec un même talent, tragique dans ses récits les plus graves ou bien encore discrètement poétique comme avec « Une source de joie innocente ».

D’une séduisante plasticité formelle, l’univers de Tiptree synthétisé par ce « Livre d’Or » n’en manque pas pour autant d’une forte cohérence thématique, placé qu’il est sous le signe récurrent de la rencontre. Les unes sont du « troisième type » lorsque les récits confrontent leurs protagonistes humains à d’extraterrestres créatures. L’altérité qui se manifeste alors n’est cependant pas plus profonde que celle révélée par les nouvelles terrestres de Tiptree. Nombre d’entre elles s’attachent pourtant à un type a priori fort banal de rencontre, celle amoureuse advenant entre femmes et hommes. Mais Tiptree se livre alors à une évocation tout en vigueur féministe et critique des différences induites socialement entre les deux sexes… à tel point que ceux-ci semblent dessiner deux espèces aussi distinctes qu’antagonistes. Car les face-à-face consignés dans ce « Livre d’Or » se terminent le plus souvent (très) mal, rattachant ainsi Tiptree au pan le plus inquiet d’une SF peinant à espérer quant à l’avenir du genre humain. Que celui-ci advienne ici-bas ou au-delà des étoiles…

Pierre CHARREL

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