Robert A. HEINLEIN, Demètre IOAKIMIDIS
POCKET
Critique parue en janvier 2010 dans Bifrost n° 57
Au sommaire de ce volume du « Livre d’Or », hormis les traditionnelles préface — signée Demètre Ioakimidis — et bibliographie complète jusqu’en 1980, six nouvelles et un roman publiés entre 1942 et 1953. Les textes ont ceci de particulier qu’aucun n’appartient à l’Histoire du futur concoctée par l’auteur qui rassemble pourtant une grande partie de sa production de nouvelles et novellae. Cela permet à Heinlein de traiter des thèmes qui ne rentraient pas dans ce canevas global : paradoxes temporels, fin du monde, savant fou… Mais avec toujours ce souci de la logique interne de l’intrigue, qui lui fait suivre son raisonnement jusqu’au bout : en atteste notamment le premier texte, « Un self made man », récit virtuose d’un voyageur temporel confronté à ses autres moi, qu’ils viennent du passé ou du futur, et qui tente en vain de lutter contre son destin. C’est aussi le cas de « La Maison biscornue », où un architecte farfelu conçoit une habitation à quatre dimensions qui fonctionne tellement bien qu’il finit par s’y perdre. Ces deux textes illustrent à merveille le style Heinlein : on prend une idée de base, qu’on analyse dans toutes ses implications pour parcourir toutes les pistes possibles. En parlant d’alternative, le protagoniste de « Sous le poids des responsabilités » n’en a aucune : astronaute en mission de secours urgente, il voyage le plus rapidement possible vers la seule issue inéluctable. Ce texte montre un Heinlein également très à l’aise dans la description psychologique : les souffrances du personnage deviennent celles du lecteur. Sans renoncer à la crédibilité scientifique, il sait la reléguer au second plan pour ajouter ce qu’il faut de force dramatique à son récit. Heinlein est aussi efficace dans sa présentation de la paranoïa du protagoniste de « Les Autres »… à moins qu’il n’ait raison ?
« L’Année du grand fiasco » et « De l’eau pour laver » se rapprochent en ce sens qu’elles traitent de la même thématique : la fin du monde. Sauf que dans un cas, elle survient réellement, alors que dans l’autre on y échappe. Avec des traitements inversés : plutôt humoristique pour le premier (du moins au début), et tragique pour le second.
Le recueil se termine par un court roman ou, au choix, une longue novella — qui aurait sans doute gagné à adopter une forme plus courte —, « L’étrange profession de Jonathan Hoag », enquête policière mâtinée de fantastique qui finit dans la science-fiction… et un retournement final quant au véritable métier de Hoag (si vous l’aviez deviné auparavant, chapeau !). A noter que cette étrange profession est en cours d’adaptation à Hollywood.
Au final, ce recueil montre tout à la fois la rigueur de la construction des intrigues par Heinlein, son questionnement permanent sur la nature et le devenir de l’être humain, et sa grande liberté tant dans le choix de ses thématiques que dans celui de ses traitements. Toutes ces caractéristiques qui font de Robert Heinlein un écrivain majeur de la S-F.