Meg ELISON
GOATER
408pp - 19,50 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Attention : cette dystopie féroce ne fait pas l’autruche face à la violence d’un effondrement soudain, et cette sage-femme sans nom restera longtemps en mémoire.
Ce roman nous accueille dans une salle de classe bien longtemps après l’action, avant de nous y plonger tout aussi rapidement : nous lirons ici un journal, un récit post-effondrement, celui de cette sage-femme sans nom. La rédaction de ses textes commence à la suite de l’apparition d’un virus aéroporté qui touche mortellement toute l’humanité, mais plus précisément les femmes et les enfants.
Notre protagoniste, tout à la fois victime, rescapée et désœuvrée dans une société où son genre comme sa profession se font rares, devra très vite s’adapter à sa nouvelle réalité où il ne fait pas bon être repérée comme une femme. Elle décide bientôt d’écrire son parcours, ses inquiétudes, les violences observées au cours d’un voyage qui part de San Francisco (où elle a connu une vie heureuse dans une société résolument diverse et joyeuse) jusqu’en Utah, proche d’une communauté recluse, tout en passant par bien des lieux dévastés, abandonnés, pillés, saccagés, parfois paisibles le temps d’une étape… mais toujours à quelques pas du danger, en premier lieu les hommes.
Avec finesse, ce roman met en scène les stratégies d’adaptation de la protagoniste, comme sa capacité à garder les plus intacts possibles son humanité, son éthique et sa mission de sage-femme autant que d’infirmière. Un de ses premiers gestes sera de penser la propagation d’outils de contraception dans un monde où chaque grossesse semble fatale et où les viols sont devenus une arme courante. À l’aide de ses journaux, finement entremêlés à la narration, nous suivons sa bataille pour ne pas oublier sa propre identité, mise à mal dans un monde où elle doit la travestir et rester sur ses gardes.
Pour autant, et c’est là une des prouesses de ce roman, nous ne sombrons ni dans l’essentialisme ni dans le voyeurisme : à la violence du monde répondent des rencontres plus subtiles, des espoirs qu’il faut préserver coûte que coûte, et peut-être aussi des façons de (re)faire société autrement, ou du moins d’essayer.
Après son recueil de nouvelles La Pilule (critique in Bifrost n°109), on savait Meg Elison à même de mêler le propos de fond et la fiction, on sait aujourd’hui qu’elle tient aussi la route sur la durée avec ce roman. Vivement la suite !