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Les critiques de Bifrost

Le Livre des merveilles

Barbara KINGSOLVER
TERRE DE BRUME
112pp - 13,42 €

Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8

« Il est le sésame et la clef qui ouvrent les riches cavernes du rêve et du souvenir dont on ne saisit que les fragments. Non seulement c'est un poète, mais celui qui transforme à son tour chaque lecteur en poète. » Voici comment Lovecraft présentait Edward John Morton Drax Plunkett, dix-huitième baron Dunsany (1878-1957), auteur qu'il considérait, sinon comme le maître, en tout cas comme l'un des siens, un écrivain qu'aujourd'hui nombre de critiques n'hésitent pas à propulser au rang de fondateur de la Fantasy moderne.

Affirmons-le d'emblée, ce Livre des Merveilles est une bonne surprise, et ceci à double titre. Avant tout, il est la réédition d'un ouvrage publié en 1924 que beaucoup désespéraient de trouver. Et puis il est aussi le premier volet d'une nouvelle collection (eh oui, encore une !) exclusivement consacrée au Fantastique et dirigée par Xavier Legrand-Feronnière, le rédacteur en chef de l'excellent Visage Vert (éditions Joëlle Losfeld), une revue semestrielle spécialisée dans le Fantastique ancien que nous vous avons abondamment présentée dans Bifrost 07.

De l'œuvre copieuse de ce Lord irlandais (environ soixante volumes, dont sept recueils de nouvelles, des pièces de théâtre, des romans, plusieurs volumes d'autobiographie, etc.), on ne connaît en langue française que bien peu de choses. Ainsi, outre La fille du roi des elfes (roman de Fantasy publié chez Denoël en « Présence du Futur » ! ), on citera pour mémoire Vent du Nord, un superbe roman de littérature générale réédité il y a quelques mois chez Terre de Brume, Encore un Whiskey Monsieur Jorkens ? aux défuntes éditions Néo (1985) et, surtout, le tout bonnement incontournable Merveilles et Démons, un recueil de nouvelles traduites par Julien Green aux éditions du Seuil (1991) puisant sa matière dans deux ouvrages originaux de Dunsany, A Dreamer's Tales et The Book of Wonder, c'est-à-dire Le Livre des Merveilles en question (dont Merveilles et Démons emprunte trois nouvelles sur les vingt-quatre qu'il propose au total). À cet ensemble, nous ajouterons une poignée de nouvelles publiées indépendamment, dont l'une d'elles, « Diable d'histoire » (« Told under Oath »), le fut dans le numéro 14 de Fiction (1955), et nous aurons à peu près fait le tour de la question. On comprendra qu'en conséquence, la réédition du Livre des Merveilles revêt une importance toute particulière.

Les nouvelles de Dunsany sont généralement très courtes (Le Livre des Merveilles qui, dans la présente réédition, fait une centaine de pages en compte néanmoins quatorze). Plus que de nouvelles, il est d'ailleurs préférable de parler de rêves intérieurs ; une manière et une thématique de l'onirisme qui, comme chez Lovecraft sont omniprésentes dans la plupart de ses œuvres et, plus particulièrement, dans ses textes courts. Ici, tout comme dans Merveilles et Démons, l'auteur nous invite a découvrir son pays imaginaire, son « Bord du Monde' au travers des aventures de personnages qui, bien souvent, hésitent à mi-chemin entre le monde réel et les merveilles de ces paysages orientalisant entraperçus. Toujours comme chez Lovecraft, la grise banalité du quotidien le dispute aux dangereuses splendeurs des mondes imaginaires, dont on sent bien qu'il suffirait de peu de choses pour qu'elles vous happent, vous fassent irrémédiablement basculer dans la folie. Chez Dunsany, le cauchemar n'est jamais très loin du rêve.

On l'a dit, cette réédition du Livre des Merveilles est une excellente surprise. On se permettra toutefois d'émettre un bémol. Car comparant les traductions des trois textes conjointement publiés dans Merveilles et Démons (traduction de Julien Green) et du Livre des Merveilles (traductions de Marie Amouroux), on comprend combien les versions du premier sont supérieures à celles du second. N'est pas Julien Green qui veut, c'est évident, néanmoins peut-être aurait-il judicieux d'un tantinet revisiter les traductions de Marie Amouroux qui, sauf erreur, sont celles de l'édition originale de 1924. Quoiqu'il en soit ne boudons pas notre plaisir et remercions les éditions Terre de Brume. François Truchaud affirmait en 1985, parlant du Livre des Merveilles : « …ce livre mythique existe, je l'ai lu, il faudra bien le rééditer un jour ! ». Voilà qui est fait. Et quand on sait que le prochain titre à paraître dans la collection « Terres Fantastiques » n'est autre que les Chroniques du Petit Peuple d'Arthur Machen (un autre des maîtres du reclus de Providence), on ne peut que souhaiter avec enthousiasme une longue vie à semblable entreprise.

Olivier GIRARD

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