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Les critiques de Bifrost

Le livre des monstres

Juan Rodolfo WILCOCK
L'ARBRE VENGEUR
13,00 €

Critique parue en juillet 2018 dans Bifrost n° 91

Beau travail que celui de l’Arbre vengeur, dont les racines exhument régulièrement des pépites tombées dans un oubli plus ou moins profond. Et drôle de vie que celle de Juan Rodolfo Wilcock, écrivain et traducteur argentin, de langue espagnole, donc, qui s’exila en Italie à l’orée des années 50, pour ne plus qu’écrire dans la langue d’Italo Calvino, et qui, comme l’indique la préface, « a réussi l’exploit d’être à la fois ignoré, oublié et incompris. » Faisant suite à une poignée de titres traduits en français, désormais épuisés, le présent ouvrage réparera peut-être cette injustice.

Sous un titre rappelant forcément le Livre des êtres imaginaires de son (ex-)compatriote Jorge Luis Borges, ce Livre des monstres présente une galerie de personnages étranges : ce gérant d’entreprise, embaumé, écoute de la pop depuis son sarcophage en rêvant de petites filles et de maîtresses d’école ; ce menuisier pond des œufs, tout le monde s’interroge sur leur contenu ; ce géomètre s’est transformé en un tas de boue au caractère irascible ; ce quidam est un homme magnifique car couvert de miroirs ; tel autre est brillant, littéralement, puisqu’il luit dans le noir… Et en voici un, plat comme une feuille et bête comme ses pieds. Des monstres, vraiment ?

Wilcock nous expose ainsi cette ribambelle de personnages, dont l’étrangeté ne dissimule pas la profonde humanité — dont la veulerie, la stupidité, l’inconstance, les tics et manies ridicules —, en des textes aussi brefs qu’incisifs. Ce sont les Caractères de la Bruyère passés à une moulinette sans pitié. Drôlement féroces, férocement drôles, ces vignettes font rire. Jaune. Elles renvoient le lecteur à sa condition humaine, à ses manques. Et lorsqu’on referme ce mince volume (mieux vaut le picorer, sous peine de finir atteint de misanthropie aiguë), le miroir trouble en couverture vient nous rappeler que, tous autant que nous sommes, nous pourrions bien compter parmi les monstres de ce livre douloureux et précieux.

Erwann PERCHOC

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