Jonas LENN, Philippe GINDRE
GRIFFE D'ENCRE
200pp - 14,00 €
Critique parue en avril 2009 dans Bifrost n° 54
Livres après livres, les éditions Griffe d'Encre s'imposent doucement dans notre microcosme science-fictionnesque hexagonal. Témoin, cet intrigant recueil de Jonas Lenn, dont on a pu lire certains textes ici ou là. Assez classique dans sa forme comme dans son fond (les mythes s'y taillent la part belle), Le Livre des théophanies se compose de huit textes hétérogènes sur le fond, mais somme toute trop homogènes en termes d'ambiance et de procédés narratifs. Les deux inédits ouvrent le bal, les autres se présentent sous une version révisée. D'entrée de jeu, Jonas Lenn frappe l'imagination par son art de l'ellipse et du non-dit. Qu'il s'agisse de l'exploration d'une jungle extraterrestre, des cauchemars d'un enfant ou de la résurgence d'un titan grec, les mêmes fils tissent les récits, les mêmes « trous » laissent le lecteur juge de ce qu'il faut croire — ou pas. Qualité qui se transforme parfois en défaut, dans la mesure où la lecture du Livre des théophanies procure un plaisir calme et tranquille, là où l'on apprécierait parfois la fureur du torrent. Reste que la majorité des nouvelles proposées ici sont de haute tenue. Témoin, « Les Elytres du temps », excellent texte assez roublard qui relate le retour dans sa tribu d'un extraterrestre adopté par des scientifiques humains en mission d'exploration. Brillante idée que de traiter l'éternel thème du premier contact via un personnage a priori adapté à la situation (c'est son peuple, après tout), mais totalement dénaturé par son séjour chez les hommes et finalement étranger à tout. Plus loin, « Un grain de légende » joue également du cliché, en mettant en scène un frère et une sœur en vacances chez leurs grands-parents. Et quand un gitan fait un pacte avec le garçon, ce dernier glisse subtilement vers quelque chose… d'autre. Rêve ? Réalité ? Ou plus simplement les deux ? Variation introspective sur la réalité virtuelle et les mondes inexistants, « La Leçon de ténèbres » fonctionne de la même façon : une idée classique, un traitement introspectif. Quelques textes se démarquent des autres, comme « Le Maître de céramique », jolie nouvelle sur les relations maudites entre art et artiste, artiste et muse et plus généralement sur la représentation de la réalité. Là encore, rien de nouveau dans cette idée d'une création qui accède à l'existence, mais un traitement de l'intérieur qui permet à l'auteur d'écrire de très belles pages sur la nature de la folie. Enfin, citons également « Le Sang des titans » qui, en mettant en scène Alexandre et la cloche à plongée d'Aristote, permettra aux amateurs de fantasy antique d'en avoir pour leur argent…
Les idées sont là, les nouvelles valent le détour et Jonas Lenn prend le temps de camper des personnages crédibles et fouillés. C'est d'ailleurs l'intérêt principal du recueil. Chaque texte est vécu de l'intérieur, d'où la nécessité de recourir à l'ellipse dont on parlait plus haut. Au final, si Le Livre des théophanies ne marque pas son lecteur au fer rouge, il n'en reste pas moins subtilement déviant. De quoi nuancer l'impression générale de classicisme. On pourra tout de même lui reprocher une certaine forme d'apathie, qui confine parfois à l'ennui, mais l'ambiance générale possède suffisamment de force pour affirmer l'identité d'un auteur décidément à part dans le paysage francophone.