Alexis WRIGHT
ACTES SUD
358pp - 23,00 €
Critique parue en octobre 2016 dans Bifrost n° 84
Actes Sud nous présente un ouvrage pour le moins atypique avec ce Le Livre du cygne. Auteur australien d’origine wanyi, un peuple aborigène, Alexis Wright se met en tête de nous écrire un roman post-apocalyptique mystique. Ou apocalyptique onirique. À moins qu’il s’agisse d’autre chose, mais quoi ? On ne sait pas trop, en définitive, ce que nous avons là, et ce n’est pas la quatrième de couverture qui nous aidera.
Situé dans un futur plus ou moins proche, l’action prend place autour d’un lac où s’entassent des aborigènes parqués par les autorités australiennes dans le but avoué de mettre ces « sauvages » à l’écart, et cela pour leur propre bien, évidemment. Au milieu de ce camp, la vieille Bella Donna de la flotte conquérante et sa fille adoptive Oblivia Ethyl(ène) font figure de parias mais aussi de simili-oracles. La jeune Oblivia (ou Oblivion – c’est selon) a une obsession : les cygnes. Les cygnes qui envahissent le lac, ceux qui survolent le camp, qui la suivent partout, même en rêve. Alors que le camp lui-même semble condamné à l’oubli du fait de la catastrophe climatique globale, un jeune homme aborigène va venir dans cet insignifiant coin de l’Australie pour épouser celle qui lui a été promise depuis bien longtemps. Warren Finch, celui qui incarne le renouveau du pays (voire du monde), se présente à Oblivia au milieu des déchets et des épaves. Il est temps pour la jeune fille d’explorer cette Australie des Blancs qu’elle ne connaît que par les histoires de Bella Donna.
De ce postulat foutraque et, pour tout dire, improbable, Alexis Wright tire une histoire retorse à souhait, bourrée de métaphores, de mythes, de rêves et de cauchemars. Avec un style rugueux et une densité d’écriture confinant souvent à l’asphyxie, l’écrivain renvoie à une sorte de Volodine… raté. Tout le problème du Livre des cygnes vient de l’ambition de la part de Wright de façonner une œuvre totalement atypique dans un monde post-apocalyptique, mais sans jamais réussir à faire autre chose qu’à se répéter ad nauseam. Le cadre tout d’abord : l’espèce d’apocalypse climatique n’est qu’effleurée, on la devine plus qu’on ne la vit, et on se demande en réalité à quoi elle sert tant Wright aurait pu écrire le même texte dans le monde présent sans altérer le sens profond de son histoire. De fait, le message délivré sur l’environnement se révèle simpliste et tellement peu exploité qu’on demeure dubitatif tout du long. Le reste n’est de toute façon pas meilleur. En choisissant une écriture froide et très stylisée, il empêche toute forme d’empathie avec ses (étranges) personnages. Ceux-ci parcourent le récit, vivent des drames… mais l’on s’en fiche. Le pire restant que très rapidement, l’histoire se prend les pieds dans le tapis et, à force de nous bombarder de mythes et de métaphores hermétiques, on ne comprend rapidement plus rien. Où veut en venir Alexis Wright ? S’agit-il d’un pur roman onirique ? D’un livre de SF qui ne sait pas quoi faire de ses thématiques ? D’un texte à charge autour de la ségrégation des aborigènes ? Un dernier axe sur lequel l’œuvre se sauve d’ailleurs in extremis de la banqueroute. Entre deux considérations mythologiques incompréhensibles et lourdes, Alexis Wright distille des réflexions acérées à propos du destin de son peuple, de l’injustice dont il est victime depuis des années et de l’hypocrisie des Blancs. Ce message fort aurait certainement suffit à lui seul en lieu et place de l’imbroglio climatique. De même, certaines images convoquent des fulgurances visuelles très fortes. Ne serait-ce que cette petite fille cachée au cœur d’un eucalyptus, cette ville noire où les cygnes meurent sur le bitume, cette traversée du désert où les gardes du corps se font génies… Car il y a plein de belles choses dans ce qu’écrit Wright. Sauf qu’il s’avère incapable de les gérer et de les exploiter correctement. Du Volodine raté, on l’a dit, qui échoue à choisir dans sa quincaillerie narrative, incapable d’imbriquer les éléments constitutifs de l’ensemble. En résulte une lecture pénible, poussive, voire éreintante. Le jeu n’en vaut clairement pas la chandelle.