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Les critiques de Bifrost

Critique parue en mars 1999 dans Bifrost n° 12

Voici le cinquième épisode d'un vaste feuilleton épique, dont je ne saurais vous résumer pertinemment l'intrigue. Sachons seulement que les deux fils du défunt roi Jean se disputent la couronne d'Erkynée, et par la même la domination sur tous les peuples du monde connu d'Osten Ard. L'un d'entre eux, Elias, subit l'influence du prêtre renégat Pryrates, et sert indirectement un déplaisant représentant de la race des immortels. L'autre, Josua, a pris la fuite à la tête d'un petit groupe d'hommes et de femmes courageux (aidés d'une poignée de trolls) et s'est réfugiée dans une ancienne et lointaine citadelle, en attendant de pouvoir rassembler la résistance. Parmi les individualités éparpillées qui pourront contribuer à cette résistance, on relève les noms de Maegwin, princesse du royaume envahi de Hernystir, Tiamak, un lettré des marais du sud, et Miriamélé, la propre fille d'Elias qui a fui son père.

Ce volume suit essentiellement les aventures du jeune Simon, qui à la suite des hauts faits accomplis lors des quatre volumes précédents, est adoubé chevalier par Josua ; et de Miriamélé, prisonnière sur un bateau en haute mer, et proie des attentions malhonnêtes du propriétaire de celui-ci, le marquis Aspitis. Quant aux Epées-talisman, on en parle beaucoup, on les voit peu, et on se doute qu'il faudra encore un moment avant que les bons de l'histoire remettent la main sur une collection complète. Ce qui ne nous empêche pas d'entrevoir les heurs et malheurs d'une bonne demi-douzaine d'autres pro — et antagonistes. Ce qui est beaucoup, d'autant plus que chacun est accompagné d'un certain nombre de faire-valoirs comiques, seconds couteaux ou autres vrais ou faux amis. Le moine Cadrach est un des plus hauts en couleurs, avec son lamentable passé de déchéance totale d'un intellectuel (il fit un jour partie de la Ligue du Parchemin) dissous dans la drogue (le vin, dans cet univers de basse technologie).

Vierge de la lecture des épisodes précédents — fort doctement synthésisés en une dizaine de pages denses à l'ouverture du livre — ignorant du nombre et de la teneur de ceux qui suivront la fin, abrupte et lourde de suspense, du présent tome, je me sens comme un badaud, le nez collé sur une somptueuse tapisserie, qui n'en apercevrait que trois points rouges, un fil jaune, et deux traits bleus. Ce sont des sagas où il faut se plonger ; tout est fait, selon les recettes éprouvées de la fantasy, pour que livre s'enfle en univers (cartes en frontispice, glossaires en annexe, et une liste de personnages qui frise le dictionnaire, tout en comportant au moins une omission notable).

Tad Williams a une écriture confortable, un peu trop chargée des clichés rhétoriques moyenâgeux de la « high fantasy », moyennement servie par une traduction parsemée d'anglicismes. Ces clichés ne se muent pas nécessairement en clichés de pensée ; les personnages les plus batailleurs répugnent profondément à la guerre, par exemple. Toutefois, tout à son honneur perdu de princesse, Miriamélé vire au mélo avant de se révéler femme d'action. Le cadre de l'histoire est calqué sur le Moyen-âge européen, avec des langues inventées qui ont des consonnances empruntées au latin, au gaélique, à la vielle langue scandinave... Et, sur cet échantillon, je n'arrive pas à discerner l'originalité de la lutte entre Bien et Mal par humains et créatures magiques interposées qui se livre sur Osten Ard. Rien à voir avec Terremer, par exemple ; une lecture agréable, mais moins forte que celle, disons, de Bordage.

Pascal J. THOMAS

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