Robert Silverberg est le plus grand écrivain de science-fiction vivant. Cette glorieuse réputation s'est forgée, voici quelque trente années, avec des livres tels que L'Homme dans le labyrinthe, Les Profondeurs de la Terre, Le Fils de l'Homme, Les Monades urbaines, Les Masques du Temps, L'Oreille interne, etc. Pour ne rien dire des nouvelles.
En tant qu'auteur, Silverberg a eu trois carrières. Une première, comme auteur de récits aventureux destinés aux « pulps », correspondant en France à la production du Fleuve Noir. La seconde, couvrant les années 60/70, dont sont issus les titres cités ci-dessus, l'a vu s'élever au rang d'un très grand écrivain. Globalement, la S-F connaissait alors son apogée et avait les moyens d'ambitions littéraires qui font aujourd'hui défaut. Puis, à l'instar de Barry N. Malzberg, un auteur plus radical, Silverberg cessa d'écrire cinq années durant. Il fit sa rentrée avec Le Château de Lord Valentin pour sa troisième carrière, mi-chèvre mi-chou, qui se poursuit encore avec ce Long chemin du retour. L'inspiration s'est pour beaucoup tarie, le métier est resté : en témoigne le présent roman qui, s'il n'est pas un long livre, n'en est pas moins un tantinet longuet…
Le voyage de jeunesse est un thème mainte fois décliné par la S-F, souvent fort bien. Que l'on se souvienne de Molly Zéro de Keith Roberts, Rite de passage d'Alexeï Panshin, Le Feu sacré de Bruce Sterling, La Jeune fille et les clones de David Brin, ou encore L'Enfant de la Fortune de Norman Spinrad. Silverberg s'y adonne à son tour.
Joseph Keilloran, adolescent de la race des maîtres, a été envoyé dans la maison Geften, à l'autre bout de ce monde rural nommé Patrie, pour parachever sa formation de, en quelque sorte, seigneur féodal. Mais voilà qu'éclate la révolution. Tous les maîtres sont massacrés et Joseph n'échappe que de justesse à la vindicte du Peuple. Il fuit à travers bois pour rentrer chez lui, sur le continent Sud, en espérant que les paysans de Patrie ne se soient pas tous unis.
Sur Patrie, outre le Peuple et les Maîtres venus de la Terre en deux vagues de colonisateurs en des temps lointains, la seconde ayant dominé la première, existe plusieurs espèces indigènes qui, bien que faisant une impasse sur les présences humaines sur leur monde, aident néanmoins le héros. Ensuite, il est recueilli par des membres libres du Peuple alors qu'il mourrait d'inanition…
Il ne se passe pas grand-chose au cours de ce long voyage pédestre où Joseph est le plus souvent seul ou accompagné d'êtres bien peu communicatifs. D'où la rareté des dialogues et leur brièveté. Là où d'autres, Peter F. Hamilton par exemple, en abusent allégrement pour booster leurs intrigues, Silverberg tombe dans l'excès inverse, avec l'effet inverse. Lent, ennuyeux, soporifique. Un type qui chemine par monts et par vaux ne correspond pas vraiment à ce que l'on est en droit d'attendre de la science-fiction.
Bien sûr, ce jeune homme apprend de ce long voyage ; il y acquiert quelque maturité, notamment sexuelle. Mais c'est bien peu. C'est un récit qui aurait pu acquérir une autre dimension hors du champ de la S-F, dans un contexte historique, l'Occupation ou les révolutions française, russe, américaine ou chinoise. Le contexte S-F ne sert à rien ici, si ce n'est peut-être à éviter à son auteur le travail préalable au roman historique.
Robert Silverberg est incontestablement un géant de la S-F, mais ce roman ne contribuera malheureusement en rien à le grandir encore. On préférera sans l'ombre d'un doute les rééditions parues depuis le début de l'année : le recueil Voile vers Byzance chez Flammarion (700 pages de nouvelles choisies pour 25 euros !), La Tour de verre et surtout Le Fils de l'homme, phénoménal chef-d'œuvre datant de 1971 qui suffirait à lui seul à justifier toute l'immense réputation de Robert Silverberg. (les deux au Livre de Poche, éditeur qui fait en ce moment un excellent travail de réédition sur cet auteur).