John DARNIELLE
CALMANN-LÉVY
256pp - 19,50 €
Critique parue en juillet 2015 dans Bifrost n° 79
Le Loup dans un camion blanc est le premier roman du chanteur et compositeur des Mountain Goats, John Darnielle.
Sean est un jeune garçon atrocement défiguré à l’âge de 17 ans. Accident, tentative de suicide, on ne le sait pas au début. Le roman raconte des moments de sa vie, à la première personne. Déstructurée, la narration saute sans cesse du Sean enfant ou adolescent d’avant l’Événement, à celui du temps autour, puis au Sean adulte, quelques années plus tard. On y suit la vie d’un enfant imaginatif et différent, amoureux de fantasy et de jeux de rôle, dont le destin bascule un jour définitivement, et qui, par là même, obtient à la dure la possibilité de rester pour toujours un outsider, seul dans sa tête et hors du monde.
Sous les yeux du lecteur s’étale donc, par bribes et en désordre, la vie de Sean. On le voit enfant à l’écart, heureux dans son monde rêvé d’heroic fantasy, puis adolescent nanti de peu d’amis, féru de jeux de rôle au point d’en créer un par correspondance qui lui permettra, après l’Événement, de « vivre » hors d’une maison d’où il ne peut presque plus sortir, enfin adulte rattrapé par sa création quand on lui reproche en justice d’avoir sans le vouloir provoqué la mort de deux joueurs devenus incapables de faire la distinction entre le jeu et la réalité. On voit Sean transposer ses épreuves et ses espoirs dans ce monde imaginaire du jeu où se trouve la forteresse dans laquelle il pourrait être enfin en sécurité. On le voit aussi s’attacher, à distance, à quelques-uns des joueurs, ceux qui n’arrêtent pas pour commencer à vivre.
C’est de responsabilité par rapport aux autres qu’il est question, mais aussi, a contrario, de l’incapacité à admettre l’entrée dans la vie adulte. Le séisme qui ébranle la vie de Sean est ici cause et conséquence de son inadaptation au monde. L’Événement est aboutissement et générateur d’une stase sans fin. Il y a quelque chose du Morwenna de Walton dans Le Loup. On pourrait adhérer, s’émouvoir, compatir. Mais ça ne fonctionne pas. Et pourtant, tous les marqueurs y sont. Howard et la fantasy, Norman et le monde de Gor, les revues de SF, les jeux de rôle, même les chrétiens illuminés avec leur peur des jeux diaboliques comme des chansons de hard-rock qui, écoutées à l’envers, sont, on le sait bien, des prières sataniques. Mais trop déstructuré, trop cryptique, trop froid, clinique et dépourvu d’affect en dépit de quelques rares moments d’émotion, le roman ne touche jamais et finit par ennuyer.