Nous voici face à un beau gros (pas trop) Nouveau Space Opera. Premier roman du canadien de langue anglaise Derek Künsken à être traduit dans notre belle langue de Molière. Avant ça, on avait pu découvrir un échantillon de sa prose dans le numéro 207 (été 2018) de la revue canadienne Solaris : « Couleurs fantômes », sans grand intérêt mais maîtrisé.
Le personnage principal, Belisarius Arjona, est un homo quantus en rupture de ban se livrant à la lucrative activité d’escroc. Les homo quantus sont des HGM, des humains génétiquement modifiés, qui, lorsqu’ils sont en fugue – une sorte de transe – peuvent voir les divers états d’une fonction d’onde quantique sans en provoquer l’effondrement. Dans l’expérience dite « du Chat de Schrödinger », il peuvent ouvrir la boîte et voire à la fois le chat mort et le chat vivant.
Au premier chapitre, on découvre Belissarius dans ses œuvres, lors d’une opération mineure, histoire de nous montrer ce dont il est capable. Puis suit la première partie où il est contacté par Iékanjika, envoyée de l’Union subsaharienne, qui lui demande de faire passer leur flotte de guerre à travers un trou de ver contrôlé par une puissance ennemie…
Belisarius se doit de recruter une équipe pour mener cette mission à bien. Cassandra, une autre homo quantus, aura pour tâche d’abouter les trous de ver. William Gander, ex-mentor de Belisarius, malade en phase terminale, génétiquement déifié, devra introduire les virus conçus par Saint Matthieu dans les défenses informatiques des Fantoches. Les Fantoches, des HGM fabriqués pour en adorer d’autres, les Numen, dont ils étaient esclaves avant que la situation ne s’inverse, détiennent le trou de ver que veut forcer la flotte de l’Union. Gates-15 est un agent double fantoche charger de faire entrer Gander, transformé en Numen par le généticien Antonio Del Casal, au cœur des fortifications fantoches. Saint Matthieu est une intelligence artificielle haut de gammes qui élabore les virus et neutralise de l’électronique au besoin. Vincent Stills et Marie sont des soldats. Lui est un HGM conçu pour vivre au fond des océans à des pressions de 500 à 1000 atmosphères, elle une chimiste experte en explosifs. Ils sont chargés de la diversion et d’exfiltrer le paiement de l’Union.
La troisième partie présente les préparatifs du coup et la quatrième, son exécution.
Imaginez qu’en 1941, la Kriegsmarine ait voulu faire franchir le canal de Suez au Tirpitz, Bismarck, Graf von Spee et autres tas de ferraille de la même eau au nez et à la barbe des Anglais qui tenait alors l’Egypte. Ça tient de la gageure majeure. Mais on l’a dit : Belissarius est un escroc…
En début de lecture, on imaginerait bien une double opération, manquée et réussie, Belissarius finissant, ou pas, d’ailleurs, par effondrer la fonction d’onde à son intérêt. Voire, laissant les fantoches avec une flotte qui ne passe pas et l’Union avec une flotte qui est passée ; une fonction d’onde non effondrée où le chat est toujours à la fois mort et vivant. Derek Künsken déçoit quelque peu en n’ayant pas joué quelque chose d’aussi sophistiqué. Il n’est pas nécessaire de maîtriser les diverses théories scientifiques invoquées par l’auteur pour apprécier le roman. La vieille SF, celle des années 30, n’est de nos jours plus crédible parce que la culture générale de la plupart des gens a intégré assez de science pour que le lecteur ne soit plus à même de suspendre son incrédulité. Un lecteur qui ignorerait tout de Mars aujourd’hui ne serait pas un lecteur de SF ; il n’est plus « croyable » que les autres planètes du système solaire soient habitées. Les Mars d’Edgar Rice Burroughs, Leigh Brackett ou Ray Bradbury ne sont plus crédibles ; il faut au moins la « Trilogie Martienne » de Kim Stanley Robinson pour que ça marche encore. Pour un physicien quantique, ce que dit ici Künsken de la théorie des quanta n’est peut-être que pur charabia pseudo-scientifique ridicule, mais cela marche fort bien au regard d’un lecteur armé d’une vague connaissance de la théorie. Le gap entre lecteur et auteur ne doit pas être très important. Künsken n’a pas écrit pour un docteur en physique quantique ni pour le dernier des béotiens, mais pour des lecteurs ayant un minimum de culture scientifique. Il demande à être lu comme A. E. van Vogt dont il a repris le principe d’écriture et a modernisé le champ scientifique d’où il extrait son « charabia » de manière à être en phase avec l’époque actuelle.
Le Magicien Quantique a été rédigé selon la pratique de rallonge consistant à suivre chacun des divers protagonistes de chapitre en chapitre. Sans être ennuyeux, le roman manque toutefois de nerf, mais on a là un NSO en rien désagréable qui ravira les aficionados du genre ; les autres peuvent, mais nullement ne doivent, faire l’impasse.