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Les critiques de Bifrost

Le Maître

Claire NORTH
LE BÉLIAL'
160pp - 10,90 €

Critique parue en avril 2023 dans Bifrost n° 110

Fonctionnant comme un zoom arrière, « La Maison des jeux » élargit l’échiquier au fil des tomes. Après la seule Venise du XVIIe siècle dans Le Serpent, puis la Thaïlande limitée à ses frontières pendant la première moitié du XXe siècle avec Le Voleur, c’est tout le globe terrestre, de nos jours, qui constitue à la fois le décor et l’enjeu de ce troisième et ultime opus – le Grand Jeu qui débute – condamné à ne pas décevoir, tant les deux premiers avaient mis la barre très haut. Le Maître, comme il se doit, agit bien évidemment en contrepoint à la Maîtresse des jeux, celle qui manipule tous les joueurs, qui distribue les cartes comme bon lui semble, quitte à fausser la donne — comme pour Remy Burke, dont les pièces étaient bien moins efficientes que celles de son adversaire dans Le Voleur. Et le Maître, on s’en doute depuis la fin de ce tome, c’est Argent, parti en guerre contre la Maison et sa « directrice », et qui assume son statut de narrateur de l’intégralité de la trilogie par l’emploi de la première personne. Pour réussir sa mission, il lui a fallu patiemment réunir ses pièces, qu’il va utiliser ici, usage qui va modifier profondément l’histoire de l’humanité. Car tant Argent que la Maîtresse se soucient peu des impacts qu’auront leurs coups : des femmes et des hommes meurent, des guerres éclatent, des gouvernements tombent (liste non limitative) et tout cela pour le plaisir des deux protagonistes principaux occupés à contrecarrer les plans de leur adversaire. Étourdissant dans son propos, où l’on se rend compte que l’histoire n’est pas faite de hasards mais téléguidée par les manipulations de deux joueurs peu scrupuleux, l’humanité réduite ainsi au seul rôle de pion sans âme manipulé avec malice, frénésie guerrière, ou dans la panique de perdre la partie. Le libre arbitre n’existe-t-il donc plus, pas plus que le hasard ? N’est-ce pas pourtant le propre de la condition de l’être humain ? Chacun des protagonistes a bien évidemment son avis sur la question, même si Argent évoluera dans sa réflexion lors de la longue traque dont il fera l’objet et qui répond à celle de Burke dans le tome précédent. L’intelligence du propos ne serait rien sans la maestria avec laquelle Claire North organise tout cela, gérant le crescendo, distillant coups de théâtre et coups d’éclat (sans oublier divers moments plus intimes, contrepoints à la débauche de moyens par ailleurs employés), convoquant des personnages des tomes précédents et en introduisant un nouveau qui rajoute tout un pan de l’intrigue jusqu’alors occulté. On ne saurait oublier non plus la langue, rendue avec justesse par un Michel Pagel impeccable de bout en bout de cette trilogie pour laquelle Claire North n’a rien laissé au hasard, et qui s’impose définitivement comme une œuvre incontournable de ces dernières années.

Bruno PARA

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