Robert Cedric Sherriff (auteur anglais né en 1896 et mort en 1975) commença sa carrière en écrivant des pièces de théâtre, dont la plus célèbre, Journey's End, fut inspirée de son expérience dans les tranchées et montée pour la première fois en 1928 avec Lawrence Olivier. Elle eut un tel succès que Sherriff l'adapta lui-même pour le cinéma — sous un titre identique, le film sera réalisé par James Whale. Il collabora à nouveau avec ce dernier sur L'Homme invisible, et fut même nominé aux Oscars pour le scénario de Goodbye, Mr. Chips en 1939.
De son œuvre romanesque se détache, dans les genres qui nous intéressent, Le Manuscrit Hopkins, publié cette même année 1939 et que Michael Moorcock, dans sa préface, qualifie de « classique important de la science-fiction britannique », de « lien entre Wells et Wyndham ». Et il faut bien reconnaître que ce livre appartient à un genre qui semble l'apanage des seuls Anglais ou presque : le roman catastrophe. Dans celui-ci, les astronomes découvrent un jour que la Lune se dirige droit vers la Terre. On décide alors de construire des abris, dans l'espoir que le satellite ne fasse qu'effleurer notre planète, mais jusqu'au dernier moment on ne saura si le jeu en vaut la chandelle ou si la Lune détruira tout sur son passage (Sherriff ne s'encombre du reste pas de crédibilité scientifique, il n'y a qu'à voir la deuxième partie de l'ouvrage). Les événements sont vus à travers les yeux d'Edward Hopkins, dont des savants d'Abyssinie ont retrouvé le journal des siècles plus tard.
Le principal intérêt de ce livre tient au point de vue choisi par l'auteur. En effet, le moins que l'on puisse dire du narrateur, c'est qu'il n'inspire pas la sympathie ; non, il est tout bonnement médiocre. Passe encore qu'il ait une passion pour l'élevage de poules — ce sont des choses qui arrivent —, mais qu'il en fasse une monomanie auprès de laquelle tout le reste est secondaire relève de la pathologie. De la même manière, quand il est mis dans le secret par la Société d'Astronomie, il se sent investi d'une mission, que dis-je, de LA mission, de guider son petit bout de campagne anglaise vers l'acceptation du sort funeste. Pourtant, il n'est qu'un des nombreux rouages de la machine mise en branle pour tenter d'amoindrir la catastrophe lunaire ; le lecteur en a pleinement conscience, de telle sorte que les complots et gesticulations de Hopkins lui apparaissent comme ridicules. Difficile à partir de là de s'identifier à ce personnage tragi-comique, voire insignifiant, là où la plupart du temps les romans catastrophe sont peuplés de figures héroïques. Edward Hopkins saura néanmoins évoluer et, sans atteindre le statut de héros, acquérir un surplus d'humanité à la faveur du cataclysme et de sa rencontre avec les autres survivants, qui le rendra plus sympathique au lecteur.
Comme Sherriff s'attache à nous retranscrire les événements par le biais de Hopkins, personnage pour le moins casanier, il s'ensuit que l'ensemble de l'histoire est racontée depuis le petit village de Beadle, dans le Hampshire (avec quelques incursions londoniennes). Plutôt que d'adopter une vision élargie, planétaire, ce sont les péripéties d'une minuscule communauté, avec leurs petits ou gros tracas quotidiens, qui sont narrées ici, une façon minimaliste de décrire un phénomène d'envergure mondiale.
Avant Wyndham, Ballard, Aldiss ou encore John Christopher, Robert Cedric Sherriff a jeté les bases du roman catastrophe à l'anglaise. Pourtant, il restait inconnu ou presque jusqu'à présent (on le cherchera vainement dans l'encyclopédie de Versins) ; cet oubli honteux est désormais réparé.