Stanislas LEM, Laurence DYÈVRE
CALMANN-LÉVY
12,55 €
Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104
Recueil de sept nouvelles ne partageant avec son homologue polonais que la novella-titre, Le Masque déçoit. Passons sur les anecdotiques deux textes les plus courts, pour nous concentrer sur les autres.
« La Formule de Lymphater » nous est livré sous la forme d’un demi-dialogue dont les répliques de l’autre interlocuteur n’auraient pas été retranscrites. La grande réputation de l’auteur vient sans aucun doute de certaines intuitions fulgurantes qu’il a pu avoir. Dans L’Invincible, il pressentait sans le nommer le concept de nanotechnologie plus de dix ans avant que Kim Eric Drexler n’en popularise l’idée. Il en va de même ici, bien avant Ray Kurzweil, avec cette fois l’idée omnisciente d’un dieu artificiel et l’obsolescence humaine qui en découle. Lem n’écrit pas de la hard SF mais pousse ses questionnements philosophiques bien au-delà de la simple conscience/révolte d’une pensée artificielle.
Dans « Cent trente-sept secondes », l’auteur envisage que le présent de la machine ne soit pas une interface instantanée entre passé et futur, mais qu’il ait une véritable durée, lui conférant une omniscience, limitée certes, à ce présent étendu. Le protagoniste de cette nouvelle n’est pas fou, mais il n’en est pas moins dépassé.
Dernier texte intéressant du recueil « La Vérité », raconté ici aussi après coup, par un protagoniste placé en détention. Des chercheurs en quête d’énergie recréent en laboratoire un plasma solaire et, ce faisant, découvrent dans cet environnement une forme de vie ultra-éphémère, mais produisent une catastrophe. Lem, encore très en avance sur son temps, offre dans l’histoire la plus scientifique du recueil une vision minimaliste d’ITER.
Dans la novella « Le Masque », on se situe dans la conscience émergente d’une entité qui s’avère être une femme traversant une salle de bal royale où elle noue une relation énigmatique avec un homme dans un dessein mystérieux. Elle s’interroge ; le lecteur aussi. Lorsqu’elle se découvre être bien autre chose qu’une femme et que son amant aussi, sa raison d’être lui est révélée au terme d’une métamorphose qui doit beaucoup à Kafka. Le texte aurait pu fonctionner, mais nul tenant ni aboutissant ne nous est livré, et le récit s’achève en queue de poisson.
Avec « Journal », on racle le fond. Ce « Journal » est celui d’une entité super divine qui, mieux que Dieu, a non seulement créé le monde, mais en a créé des millions. Lem nous livre là des pages de galimatias eschatologique, se paie des paragraphes de mots enfilés comme des perles, jusqu’à l’explication finale dans les trois dernières pages. Sans ce dernier texte, le recueil aurait peut-être été acceptable, mais il y a des limites à tout ! Du moins, il devrait y en avoir à l’arrogance intellectuelle, ne serait-ce que pour lui éviter de sombrer dans un ridicule aussi achevé.