Il faut certes creuser dans la masse de romansdezombisquidépotent, mais la collection « Eclipse », ex-maison d’édition du même nom, publie non sans un certain flair une bonne partie des livres de SF les plus ambitieux d’aujourd’hui. Je pense notamment à Jack Glass, d’Adam Roberts, à Osama, de Lavie Tidhar, et au présent ouvrage, dû à une auteure des Barbades.
Comme, une fois n’est pas coutume, le quatrième de couverture est à la fois juste et concis, je le cite sans vergogne : « Autrefois la race la plus avancée de la galaxie, les Sadiris ont été exterminés et leur monde natal détruit. Pour préserver leur espèce de l’extinction, les derniers survivants, en majorité des mâles, doivent s’organiser. Sur Cygnus Béta, des conseillers sadiris partent à la recherche des descendants d’une ancienne diaspora de leur peuple, dans l’espoir de trouver des femelles génétiquement compatibles afin de sauvegarder la société et le mode de vie sadiris. »
Cygniens, Sadiris et autres, dans ce futur lointain, sont tous des rameaux issus d’un tronc commun humain — ou du même ensemencement qui a donné naissance, entre autres, à l’humanité. Cela n’exclut pas, vu leur développement séparé, une grande diversité des cultures. C’est là que le roman de Karen Lord brille le plus. La confrontation entre Dllenahkh, le chef de la mission sadirie, Delarua, la biotechnicienne cygnienne qui lui sert d’assistante, et divers autres personnages des deux ethnies qui, malgré leur volonté de coopération, font face à des chausse-trappes culturelles, fonde le ressort narratif principal de l’intrigue. Son cadre, mouvant, c’est une théorie de colonies planétaires, elles-mêmes très diversifiées, qui posent chacune des problèmes spécifiques, tantôt pittoresques, tantôt tragiques : l’une d’elles a ainsi renoué avec l’esclavage. D’une société néo-féodale à la recréation d’une cour féérique, de festivités mondaines à une catastrophe souterraine, les épisodes s’enchaînent, les malentendus surgissent, les solutions s’esquissent, et l’amour pointe le bout de son nez.
Ce livre n’est sans doute pas pour tout le monde. La structure du roman peut paraître un peu répétitive, il y a quelques longueurs et la traduction de Jean-Marc Ligny semble engoncée dans les premiers chapitres avant de trouver le ton (et le bon). Par ailleurs, le côté romantique est très poussé, les bons sentiments l’emportent, mais je l’avoue, c’est l’absence de cynisme, le refus du recours systématique au conflit, l’ode à la compréhension mutuelle qui m’ont justement con-vaincu et, en fin de compte, séduit. On pense, pour la forme, à du Le Guin (le caractère ethnologique, la réflexion sur le genre — Christine B., passez votre chemin !) relevé d’un peu de Vance (dans le récit de voyage), mais s’il y a un écrivain auquel Le Meilleur des mondes possibles fait penser, c’est surtout à Roland C. Wagner. Ces comparaisons sont sans doute injustes, cependant : Karen Lord possède un talent bien à elle, déjà salué par divers prix et nominations. Espérons qu’on la lise de nouveau sous nos latitudes sans trop attendre : The Galaxy Game (tout un programme…) sort ces temps-ci aux Etats-Unis.