François DARNAUDET
NESTIVEQNEN
264pp -
Critique parue en octobre 2019 dans Bifrost n° 96
Apparues au tournant des années 2000, les éditions Nestiveqnen ont longtemps œuvré dans le domaine de la fantasy francophone (on leur doit par exemple la découverte de Catherine Dufour ou Jérôme Noirez). Jusqu’à une brusque sortie des radars remontant à plusieurs années, au point de faire croire à une disparition pure et simple. Il n’en est rien. Ils ont certes réduit la voilure, comme on dit, voire affalé toute la toile. Mais il semble que quelques livres aient néanmoins été publiés durant cette période, en dépit d’une visibilité des plus restreinte. Les voila donc revenant aux affaires, leurs parutions étant du moins dûment annoncées sur le site de la NooSFère…
Le présent bouquin contient un court roman,« Le Möbius Paris Venise », un étrange texte intitulé « Retour de l’autobiographie fantastique », et, cerise sur le gâteau, quatre « Nouvelles amères ».
« Le Möbius Paris Venise » est une histoire d’univers parallèles où l’on passe via des portes, telle celle de l’Enfer sculptée par Rodin, d’un Paris à une Venise alternative. L’une étant disposée à l’envers de l’autre comme sur le fameux ruban de Möbius. Et Alex Lex se voit entraîné dans ce labyrinthique jeu de miroirs par Rainer Maria Rilke… Question intrigue, ça laisse à désirer. Il y a des bons, bien sûr, et des méchants qui commettent crimes et délits, se courent après et changent de camp à l’occasion. Le but étant la création de Parnise au bout du ruban, hybride de la Ville Lumière et de la Sérénissime où coexisteraient tous les monuments des deux villes à toutes les époques. L’ambiance steampunk est pour le moins édulcorée. Et donc ? Darnaudet promène son lecteur dans ces deux cités qu’il semble affectionner, en compagnie de gens constituant sa culture personnelle : artistes ou créations. On y croise Hugo Pratt, Sâr Dubnotal, François Villon, Corto, Leone Frollo, Sade, Robida, Jacques Bergier, entre autres… Ce n’est pas déplaisant. C’est plutôt sympathique.
Tout est dans le titre du « Retour de l’autobiographie fantastique », rédigé comme si l’auteur croyait aux éléments surnaturels dont il fait état. On reste dubitatif.
Le meilleur ayant été gardé pour la fin, les quatre « Nouvelles amères » vont en un crescendo exponentiel. Le clou du livre, sans doute aucun, avec là encore une bonne dose d’autobiographie. La première est une pure nouvelle d’horreur à chute. Les deuxième et troisième évoquent la mort d’une mère que l’auteur semble avoir perdu alors qu’il était encore enfant. Enfin « Boris, ses motos, les Bardenas et autres déserts » est un pur chef-d’œuvre qui à lui seul justifie l’achat du volume. Il n’y a rien de pire dans la vie d’un parent que de voir disparaître la chair de sa chair si ce n’est de la voir disparaître de cette façon-là. On sent l’énorme charge affective qui leste chacune des lignes de ce texte, une densité et une puissance rare, tout en retenue et en pudeur. Il fallait que ce texte fût le dernier, car il est impossible d’aller au-delà. On en reste sur le cul. Ce n’est pas de l’Imaginaire, à moins de vouloir à toute force y lire une histoire de fantômes, mais c’est un vrai grand texte. L’un des plus forts qu’il m’ait été donné de lire.