Mary Doria RUSSELL
ACTUSF
464pp - 19,00 €
Critique parue en octobre 2017 dans Bifrost n° 88
Publié en France pour la première fois en 1998 sans l’étiquette SF, le premier roman de Mary Doria Russell (publication originale : 1996) a fait grand bruit à l’époque et récolté plusieurs prix prestigieux (British SF Award et prix Arthur C. Clarke pour en citer deux) mérités. Un classique mineur qui, après un passage en poche chez Presses Pocket, se voit réédité par les éditions ActuSF dans un grand format agrémenté d’une postface rédigée par l’auteure pour le vingtième anniversaire du livre ainsi qu’un entretien avec Russell réservé aux lecteurs français.
2019 : Arecibo. Un radioastronome affilié au programme de recherche extraterrestre SETI capte de la musique créée par des créatures intelligentes sur une planète de la région d’Alpha du Centaure. Un endroit éloigné, certes, mais qu’une équipe bien préparée et soutenue par des moyens financiers adéquats pourrait atteindre. Entrent alors en scène les Jésuites de la Compagnie de Jésus, dont un des membres, Emilio Sandoz, est ami avec le découvreur des mystérieux chants extraterrestres. L’idée d’une expédition, lancée d’abord comme une blague, devient de plus en plus sérieuse, jusqu’à ce qu’elle prenne corps et qu’un groupe de Jésuites accompagnés d’experts civils parte, à bord d’un astéroïde modifié, en direction de la planète Rakhat.
2060 : Emilio Sandoz revient sur Terre. Seul survivant de l’expédition, il a été récupéré par un deuxième groupe d’humains parti à la suite des Jésuites et n’est plus que l’ombre de lui-même. Traumatisé, les mains déformés par une torture vicieuse, il a été retrouvé mal en point dans un bordel appartenant à la race autochtone de la planète et a apparemment tué une petite femelle extraterrestre. Que lui est-il vraiment arrivé ?
Mary Doria Russell déroule son récit sur deux temporalités et l’histoire principale est racontée, ou plutôt extirpée peu à peu, à un survivant qui a apparemment trop souffert. Nous suivons donc la longue convalescence de Sandoz chez les Jésuites et découvrons par sa bouche les circonstances qui l’ont conduit là où il se trouve : le voyage spatial, l’arrivée sur une planète presque idyllique, le premier contact avec une race autochtone de cueilleurs pacifiques… Dans un autre flash-back, l’autrice narre le passé et la rencontre entre les différents personnages de l’expédition : Emilio Sandoz, ce Jésuite qui cherche Dieu, Sofia Mendez et sa force de caractère, George et Anne, couple plus âgé, qui servent de parents au groupe, etc. Russell prend le temps de tisser des relations complexes entre ces protagonistes, de plonger le lecteur dans des scènes quotidiennes qui, loin d’être inutiles, permettent de donner à la toute fin de son roman une profondeur inédite. Si l’exposition proprement dite s’étire sur un tiers du texte, elle n’est en rien superflue. Le lecteur pressé verra son effort récompensé s’il parvient jusqu’au moment de la réception du signal extraterrestre. Une fois ses pions en place, l’auteure déroule un récit d’une grande richesse. Au-delà de la psychologie des personnages, c’est sur la gestion de la dynamique de groupe que le texte est magistral. Au-delà de leur background, tous les protagonistes de l’expédition se révèlent dans leurs rapports aux autres membres du groupe et la résolution finale touche d’autant plus le lecteur qu’il aura passé du temps à découvrir Emilio et ses camarades. Si le passionné de hard SF n’en aura sûrement pas pour son argent, les thématiques qui parsèment Le Moineau de Dieu – spiritualité, amour, amitié, altérité, etc. – en font un grand roman universel, une œuvre de SF qui ne propose aucune idée révolutionnaire, mais qui utilise le genre à plein pour offrir un texte fort et émouvant.
Mary Doria Russell a écrit une suite au Moineau de Dieu, Children of God, toujours inédite en français, ainsi que deux romans consacrés à Doc Holiday et à la tuerie de Tombstone, qui, après la découverte d’un texte aussi bon, paraissent bien alléchants.