Hélène GUÉTARY
ALBIN MICHEL
320pp - 19,80 €
Critique parue en octobre 2004 dans Bifrost n° 36
Hors des sentiers battus tels les chemins de grande randonnée d'une fantasy convenue, avec ses haches, elfes et dragons, Le Monde de Cosmo nous entraîne quelque part, sur les chemins de traverse, entre le Neil Gaiman de Neverwhere et l'univers de Catherine Dufour, pour décliner son Alice des temps modernes, qui a échappé au syndrome de Peter Pan sans pour autant renoncer au prince charmant, dans le genre peu couru de la fantasy onirique.
Ce qui justifie, en quelque sorte, la publication du Monde de Cosmo hors collection spécialisée, qui l'apparente à la littérature générale, c'est l'effort entrepris avec succès par la romancière pour créer un monde qui soit vraiment onirique. Qui dit fantasy onirique dit que les paysages n'y sont point géographiques (voir la carte) — un tournage en Nouvelle-Zélande ne s'imposera pas. Hélène Guétary nous promène dans des contrées qui n'ont rien à voir avec la Comté mais s'apparentent bien davantage à l'œuvre d'un Delvaux ou aux dessins de Schuiten. Il y a du surréalisme dans Le Monde de Cosmo. La boucle est bouclée. Rêve, symboles, surréalisme. À l'opposé du slogan d'un réalisme magique qui pourrait être « C'est vrai, ailleurs », celui du Monde de Cosmo serait : « Ici, on rêve ». De là à dire qu'il s'agit de littérature générale, il n'y a qu'un pas : celui qui fait basculer dans l'abîme. Cet imaginaire-là ne s'embarrasse point de vraisemblance. Comme dans Alice, peu importe l'absurde pourvu qu'il fasse sens.
En lisant Hélène Guétary on s'amuse, on jubile, car la dame laisse la bride sur le cou de son humour décalé à souhait, d'où profusion de situations burlesques, voire grotesques. Par ailleurs, si Le Monde de Cosmo est un monde des rêves, c'est un monde des rêves modernes. Un monde où les méchants recourent à la nanotechnologie et où la princesse, si elle espère plus que jamais le prince charmant, ne l'attend pas, passive et endormie dans son beau cercueil de verre, mais le suit jusqu'au cœur même du danger.
Un mal archétypal affronte un bien qui l'est tout autant ; l'un et l'autre incarnés par deux reines Blanche et Noire qui se disputent une impossible hégémonie sur l'échiquier des rêves. Certes, l'idée qu'un brin d'amour et de fantaisie améliorerait grandement les choses de notre pauvre monde qui en manque si cruellement n'a rien d'inédit — Michael Moorcock l'a d'ailleurs superbement décliné, quoique de fort différente manière, dans son Déjeuner d'affaires avec l'Antéchrist. Hélène Guétary nous enjoint de ne pas oublier qu'il n'y a qu'au pays du rêve où tous les désirs s'accomplissent, et que si l'on ne rêve de rien qui ne puisse aisément s'obtenir, on ne risque pas d'en retirer davantage que la terne grisaille quotidienne. Elle nous rappelle, avec à propos, que ce n'est qu'au fond des rêves que l'on peut trouver l'homme ou la femme idéale. Atours d'illusion dont il ne reste alors plus qu'à revêtir l'élu(e) de son cœur. Cosmo n'étant rien d'autre pour Pearl.
Avec Le monde de Cosmo, Hélène Guétary s'entend très bien à redonner quelques gaies couleurs au monde, et les auteurs qui propagent un message de résistance au processus de réification de l'humanité ne cessent d'attirer ma sympathie. Drôle, dynamique à souhait, cette remarquable fantasy s'impose comme l'une des plus originales qui soient.