De prime abord, un roman coécrit par Ugo Bellagamba et Jean Baret, publié sous le label Mu des éditions Mnémos, a tout du Kamoulox littéraire, tant les univers et les styles de ces auteurs sont éloignés. De ce point de vue, la double citation qui ouvre le livre, l’une signée Jean Anouilh, l’autre Judge Dredd, illustre de belle manière le grand écart auquel on aura affaire tout du long. Mais ce serait oublier que nos deux écrivains ont également des centres d’intérêt qui les rapprochent. Ainsi, le premier est maître de conférences en Histoire du droit et des idées politiques, tandis que l’autre est avocat au Barreau de Paris. Et c’est sur cette base commune, celle des lois, de leur application et de ce qui les fonde, que va se construire Le Monde de Julia.
Dans un futur post-apocalyptique indéterminé, le roman suit en parallèle deux intrigues. Dans la première, la petite Julia grandit dans un cadre montagnard et paisible, sans parents mais en compagnie d’un robot faisant à la fois office de professeur, de tuteur et d’unique confident. Jusqu’à ce que, les années passant, elle se voie contrainte de prendre la route et fasse de nouvelles rencontres, plus ou moins bienveillantes. Dans la seconde, une équipe de chercheurs visite et étudie les clans qui se sont substitués aux anciennes constructions sociales en empruntant leurs lois et leur organisation à diverses œuvres de fiction, de Fight Club à « Terra Ignota », en passant par La Servante écarlate ou « Métro 2033 ».
À la lecture, on peine à croire que ces deux intrigues se déroulent dans le même univers. D’un côté les décors naturels et sauvages que traverse Julia, de l’autre les bas-fonds sordides de l’ancienne civilisation où s’affrontent les différents clans. Le ton employé est lui aussi très différent. Entre le sérieux empesé des joutes oratoires auxquelles participe la jeune fille et la description goguenarde des tribus improbables que l’on croise, il y a un monde. Reste que le questionnement est similaire : comment rebâtir une civilisation, sur quelles bases et avec quel objectif. Bellagamba et Baret ont opté pour une interrogation purement théorique, passant en revue divers modèles en puisant leurs exemples autant chez les grands pen- seurs que dans la littérature populaire, plutôt que d’apporter leur propre pierre à l’édifice, si ce n’est dans un épilogue tout sauf convaincant. Dans ses meilleurs moments, Le Monde de Julia offre de belles maximes, en particulier sur notre époque (« Les lois sont partout, pourtant leur esprit a disparu » p. 52), mais en ne prenant pas la peine de construire un futur vraisemblable pour le passer au crible de leur réflexion, il échoue du point de vue romanesque.