Curieux métier que celui de Ben Mendelsohn : épiloguiste. Auteurs de romans bloqués à quelques pages de la fin et autres réalisateurs en panne d’inspiration pour achever leur film font appel à lui. Hélas, la vie lui propose un écueil bien difficile à accepter : la mort accidentelle et pour le moins grotesque de la femme de sa vie, Marianne. Aussi, quinze mois après ce décès, il invite ses amis à fêter les quarante ans de son épouse et, pendant que tous admirent un feu d’artifice sur la terrasse, se suicide.
Fin de l’histoire ? Non. Le voilà aussitôt plongé dans l’autre monde, celui où aboutissent les défunts. Ni paradis, ni enfer, juste un autre monde, avec ses règles bien à lui. Mais Ben n’est pas ici pour faire du tourisme ni de l’ethnologie. Seule l’intéresse Marianne… qui n’est pas là à l’attendre, devant la salle blanche, bras ouverts. Déçu par cette absence inexplicable, tant leur amour était fort et fusionnel, perdu dans ce lieu dont il ne maîtrise pas les codes, il finira par engager un détective truculent capable de repérer sans coup férir tous les mensonges, du plus énorme au plus infime. Et partira, malgré lui, à la découverte de cet univers haut en couleurs, dans un récit sans temps… mort.
Roman polyphonique, ce qui est plutôt courant, Le Monde de la fin présuppose tout de même une bonne dose de confiance de la part du lecteur, tant les histoires débutées au fil des chapitres sont déconnectées les unes des autres. Il convient de garder à l’esprit l’intime conviction qu’on finira par découvrir le lien étroit entre tous ces personnages (ce sera bien le cas, qu’on se rassure) pour entrer dans l’histoire. Passée cette légère mise en garde, il faudrait se montrer bien bégueule pour bouder son plaisir. Car Ofir Touché Gafla est un artisan habile. Une pincée de passion romanesque, voire mélodramatique, une dose d’enquête policière, pas mal de mystère (un monde entier à découvrir !), de bonnes lampées d’humour et un soupçon de célébrités (Marilyn Monroe et Shakespeare en guest-stars). Tous ces ingrédients sont reliés entre eux par un art consommé du rebondissement : chaque fin de chapitre est un tremplin, chaque nouvel élément une graine en germe destinée à éclore tôt ou tard. Quant aux personnages, ils ruissellent de vie ou de désespoir. Mais ils sont entiers, pleins de sentiments : détresse absolue d’une ex’ de Ben qui finira par choisir le sommeil définitif (eh oui ! on peut encore mourir après son décès !), soif de plaisirs sans cesse renouvelés de son oncle. Ils permettent à cette fable parfois cruelle, sans concession, mais aussi, parfois, légère et douce, de prendre corps, nous entrainant page après page sans reprendre souffle. Alors, aucune hésitation ne sera admise. Et puis, prenez cela comme un entraînement pour le grand saut. Qui sait, cela pourrait peut-être s’avérer utile…