Les classiques ne disparaissent jamais. Surtout quand les éditeurs ont de belles idées pour leur donner une nouvelle vie. Ainsi les éditions Mnémos proposent une intégrale du cycle du « Monde du Fleuve » dans un beau volume – une édition limitée avec couverture cartonnée, signet, jaquette – qui regroupe les cinq romans écrits entre 1971 et 1983 : Le Monde du Fleuve (Prix Hugo 1972), Le Bateau fabuleux, Le Noir dessein, Le Labyrinthe magique, et enfin Les Dieux du Fleuve.
Rien de plus simple que « Monde du Fleuve ». Tout commence quelque part, dans le vide, quand un homme nu se réveille. Il ne sait pas où il est mais il veut survivre. Des inconnus surgissent, le maîtrisent. Puis il se réveille encore. Nu. Glabre. Jeune. Il est au bord d’un fleuve et il n’est pas seul. Tous les morts de l’histoire de l’humanité sont présents sur ces rivages qui semblent infinis. Tous sont nus et leur dernier souvenir est leur mort…
L’idée à elle seule est tellement puissante et romanesque que l’on comprend sans peine pourquoi Philip José Farmer a reçu le prix Hugo. Le cycle dépasse d’ailleurs le principe du livre-univers parce que tous les auteurs, tous les artistes, tous les aventuriers, mais aussi toutes les pires ordures de l’histoire sont présents ! Richard Burton, Sam Clemens (alias Mark Twain), Jean sans Terre, Cyrano de Bergerac, Ulysse, Hermann Göring et bien d’autres… Ne gâchons pas la liste parce qu’elle est splendide.
L’habilité de Farmer est de placer ses personnages non pas dans la continuation de leur vie, mais dans une nouvelle existence, profondément différente, où leurs convictions, leur éducation et leur personnalité devront être redéfinies. Richard Francis Burton est le personnage principal. Burton, l’homme aux mille vies, lui qui chercha les sources du Nil, qui réalisa la première traduction complète des Mille et une nuits, devient ici un personnage fascinant, obsédé par le besoin d’aller de nouveau aux sources du fleuve. Philip José Farmer joue avec bonheur de toutes les possibilités de sa fiction, et même de la science-fiction. Le dernier survivant de la race extraterrestre ayant exterminé l’humanité est également du voyage. Tout comme Peter Jairus Frigate – qui connait parfaitement la biographie de Burton – dont les initiales révèlent de manière transparente ses liens avec l’auteur.
À l’image du panorama sans fin du fleuve, le roman se déroule sur un rythme trépidant. Nous sommes dans la très grande aventure où la résolution du mystère (Qui a construit le fleuve ? Pourquoi ces résurrections ?) n’est que le moteur puissant d’une intrigue qui avance à pas soutenu. Farmer multiplie les inventions qui relancent à point nommé le récit, chaque révélation entraînant de nouvelles complications. Certains passages atteignent des sommets épiques, d’autant plus impressionnants qu’au fil des pages, nous avons appris à connaître et apprécier ces explorateurs d’un genre nouveau…
Bref, un cycle tout simplement indispensable pour toute bibliothèque digne de ce nom.